Page:Hugo - William Shakespeare, 1864.djvu/354

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sont l’élite. Comme nous l’avons remarqué ailleurs, cette élite, accumulée de siècle en siècle et toujours ajoutée à elle-même, finit par faire nombre, devient avec le temps multitude, et compose la foule suprême, public définitif des génies, souverain comme eux.

C’est à ce public-là qu’on finit toujours par avoir affaire.

Cependant il y a un autre public, d’autres appréciateurs, d’autres juges, dont il a été dit un mot tout à l’heure. Ceux-là ne sont pas contents.

Les génies, les esprits, ce nommé Eschyle, ce nommé Isaïe, ce nommé Juvénal, ce nommé Dante, ce nommé Shakespeare, ce sont des êtres impérieux, tumultueux, violents, emportés, extrêmes, chevaucheurs des galops ailés, franchisseurs de limites, « passant les bornes », ayant un but à eux, lequel « dépasse le but », volant brusquement d’une idée à l’autre, et du pôle nord au pôle sud, parcourant le ciel en trois pas, peu cléments aux haleines courtes, secoués par tous les souffles de l’espace et en même temps pleins d’on ne sait quelle certitude équestre dans leurs bonds à travers l’abîme, indociles aux « aristarques », réfractaires à la rhétorique de l’État, pas gentils pour les lettrés