Page:Hugo - William Shakespeare, 1864.djvu/390

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mesure est un tyran de brouillard. Il se désagrège et s’efface. Le Léontès du Conte d’hiver est un Othello qui se dissipe. Dans Cymbeline, on croit que Jachimo va devenir Iago, mais il fond. Le songe est là partout. Regardez passer Mamilius, Posthumus, Hermione, Perdita. Dans la Tempête, le duc de Milan a « un brave fils » qui est comme un rêve dans le rêve. Ferdinand seul en parle, et personne que lui ne semble l’avoir vu. Une brute devient raisonnable, témoin le constable Lecoude de Mesure pour mesure. Un idiot a tout à coup de l’esprit, témoin Cloten de Cymbeline. Un roi de Sicile est jaloux d’un roi de Bohême. La Bohême a des rivages. Les bergers y ramassent des enfants. Thésée, duc, épouse Hippolyte, amazone. Obéron s’y mêle. Car ici c’est la volonté de Shakespeare de rêver ; ailleurs il pense.

Disons plus, là où il rêve, il pense encore ; avec une profondeur autre, mais égale.

Laissez les génies tranquilles dans leur originalité. Il y a du sauvage dans ces civilisateurs mystérieux. Même dans leur comédie, même dans leur bouffonnerie, même dans leur rire, même dans leur sourire, il y a l’inconnu. On y sent l’horreur sacrée de l’art, et la terreur toute-puissante de l’imaginaire mêlé au réel. Chacun d’eux est dans sa caverne, seul. Ils s’entendent de loin, mais ne se copient pas. Nous ne sachons