Page:Hugo - William Shakespeare, 1864.djvu/83

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

l’accouplement s’ébauche dans la forêt : Tunc Venus in sylvis jungebat corpora amantum ; et la forêt, c’est la nature. Ces vers-là sont impossibles à Virgile. Lucrèce tourne le dos à l’humanité et regarde fixement l’Énigme. Lucrèce, esprit qui cherche le fond, est placé entre cette réalité, l’atome, et cette impossibilité, le vide ; tour à tour attiré par ces deux précipices, religieux quand il contemple l’atome, sceptique quand il aperçoit le vide ; de là ses deux aspects, également profonds, soit qu’il nie, soit qu’il affirme. Un jour ce voyageur se tue. C’est là son dernier départ. Il se met en route pour la Mort. Il va voir. Il est monté successivement sur tous les esquifs, sur la galère de Trevirium pour Sanastrée en Macédoine, sur la trirème de Carystus pour Metaponte en Grèce, sur le rémige de Cyllène pour l’île de Samothrace, sur la sandale de Samothrace pour Naxos où est Bacchus, sur le céroscaphe de Naxos pour la Syrie Salutaire, sur le vaisseau de Syrie pour l’Egypte, et sur le navire de la mer Rouge pour l’Inde. Il lui reste un voyage à faire, il est curieux de la contrée sombre, il prend passage sur le cercueil, et, défaisant lui-même l’amarre, il pousse du pied vers l’ombre cette barque obscure que balance le flot inconnu.