Page:Hugo - William Shakespeare, 1864.djvu/94

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qui lui sert de trône et de latrine. Il évangélisa la Perse, que l’Écriture appelle Paras. Quand il parut au concile de Jérusalem, on crut voir la colonne de l’Église. Il regarda avec stupeur Cérinthe et Ébion, lesquels disaient que Jésus n’est qu’un homme. Quand on l’interrogeait sur le mystère, il répondait : Aimez-vous les uns les autres. Il mourut à quatre-vingt-quatorze ans, sous Trajan. Selon la tradition, il n’est pas mort, il est réservé, et Jean est toujours vivant, à Pathmos comme Barberousse à Kaiserslautern. Il y a des cavernes d’attente pour ces mystérieux vivants-là. Jean, comme historien, a des pareils, Matthieu, Luc et Marc ; comme visionnaire, il est seul. Aucun rêve n’approche du sien, tant il est avant dans l’infini. Ses métaphores sortent de l’éternité, éperdues ; sa poésie a un profond sourire de démence ; la réverbération de Jéhovah est dans l’œil de cet homme. C’est le sublime en plein égarement. Les hommes ne le comprennent pas, le dédaignent et en rient. Mon cher Thiriot, dit Voltaire, l’Apocalypse est une ordure. Les religions, ayant besoin de ce livre, ont pris le parti de le vénérer ; mais, pour n’être pas jeté à la voirie, il fallait qu’il fût mis sur l’autel. Qu’importe ! Jean est un esprit. C’est dans Jean de Pathmos, parmi tous, qu’est sensible la communication entre certains génies et l’abîme.