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Le mur est orné d’un papier bleu foncé à rosaces jaunes. La fenêtre est ornée d’un rideau de calicot rouge où les trous tiennent lieu de rosaces. Il y a devant la fenêtre une chaise dépaillée, près de la chaise un fourneau, sur le fourneau une marmite, près de la marmite un pot à fleur renversé dont le trou contient une chandelle de suif, près du pot à fleur un panier plein de charbon, qui fait rêver suicide et asphyxie, au-dessus du panier une planche encombrée d’objets sans nom au milieu desquels on distingue un balai râpé et un vieux jouet d’enfant figurant un cavalier vert sur un cheval cramoisi. La cheminée, mesquine et étroite, est en marbre noirâtre taché de mille petites gouttelettes blanches. Elle est couverte de verres cassés et de tasses non lavées. Dans l’une de ces tasses plonge une paire de besicles en fer-blanc. Un chou traîne à terre. Dans l’intérieur de la cheminée flotte un torchon accroché à l’un des croissants. Pas de feu, ni au fourneau, ni à la cheminée. Un tas d’affreuses ordures remplace le tas de cendres. Pas de glace sur la cheminée ; un tableau de toile vernie représentant un nègre tout nu aux genoux d’une blanche décolletée et en robe de bal sous une tonnelle.

En face de la cheminée, une casquette d’homme et un bonnet de femme pendent à deux clous des deux côtés d’un miroir fêlé.

Au fond de la chambre, un lit. C’est-à-dire un matelas posé sur deux planches qu’exhaussent deux tréteaux. Au-dessus du lit, d’autres planches échafaudées en claire-voie supportent un encombrement inexprimable de linges, de hardes et de haillons. Un faux cachemire, dit cachemire français, passe par une crevasse de la claire-voie et se drape au-dessus du grabat.

Maintenant mêlez au fourmillement hideux de toutes ces choses la saleté, l’odeur infecte, les taches d’huile et de suif, la poussière partout. Dans le coin près du lit, est posé debout un énorme sac de copeaux, et sur une chaise, à côté du sac, traîne un vieux journal. J’ai eu la curiosité de regarder le titre et la date. C’est le Constitutionnel du 25 avril 1843.

À présent qu’ajouter ? Je n’ai pas dit le plus horrible. La maison est odieuse, la chambre est abominable, le grabat est hideux ; mais tout cela n’est rien.

Au moment où j’entrais, il y avait sur le lit une femme endormie.

Une femme vieille, courte, trapue, rouge, bouffie, huileuse, tuméfiée, grasse, effroyable, énorme. Son affreux bonnet dérangé laissait voir sa tempe grisonnante, rose et chauve.

Elle dormait tout habillée. Elle avait un fichu jaunâtre, une jupe brune, et, par-dessus tout cela, sur son ventre monstrueux, un vaste tablier souillé comme le pantalon de toile d’un forçat.

Au bruit que je fis en entrant, elle s’agita, se dressa sur son séant, montra ses grosses jambes couvertes d’inqualifiables bas bleus, et étendit en bâillant