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vie à admirer. Que la création est belle ! On ne peut pas se déplacer sans s’extasier à chaque pas. Avant-hier je voyais la mer, hier l’Espagne, aujourd’hui les montagnes. Tout cela est beau, beau différemment, mais également.

Admirons, ma fille chérie, mais n’oublions pas qu’admirer ne vaut pas aimer. Aimons surtout. On n’a pas besoin de te dire cela à toi qui as tous les amours à la fois. Dis à ton Charles que j’ai été bien charmé de son petit mot. Je sais qu’il a le cœur noble et l’esprit élevé. Vous vous entendrez toujours. Se comprendre, c’est s’aimer. Je t’embrasse du fond de mon cœur. Dans un mois !

Écris-moi toujours à Pau. Mille amitiés à Auguste Vacquerie[1].


À Léopoldine.


Luz, 25 août [1843].

J’écris à ta mère, ma fille chérie, la tournée que je fais dans ces montagnes. Je t’envoie au dos de cette lettre un petit gribouillis qui te donnera quelque idée des choses que je vois tous les jours, qui me paraissent bien belles, et qui me sembleraient bien plus belles encore, chère enfant, si je les voyais avec toi. Ce qui te surprendra, c’est que l’espèce de ruine qui est au bas de la montagne n’est point une ruine : c’est un rocher. Les Pyrénées sont pleines de ces blocs étranges qui imitent des édifices écroulés. Les Pyrénées elles-mêmes, au reste, ne sont qu’un grand édifice écroulé.

Les deux triangles blancs que tu vois dans les entre-deux des montagnes sont de la neige. Dans certaines Pyrénées, et particulièrement sur le Vignemale, la neige prend son niveau comme l’océan.

Je prends les eaux, mais j’ai toujours les yeux malades. Il est vrai que je travaille beaucoup. Je pourrais dire sans cesse. Mais c’est ma vie. Travailler, c’est m’occuper de vous tous.

Tu as maintenant deux Charles pour te rendre heureuse. Avant peu tu auras aussi ton père. Donc, continue d’engraisser, de rire et de te bien porter. Rayonne, mon enfant. Tu es dans l’âge.

Je charge ta mère de mes souvenirs pour madame Lefèvre et monsieur Regnauld. Et puis je t’embrasse, ton Charles et toi, du fond du cœur.

Écris-moi maintenant à La Rochelle poste restante.

Fais souvenir ta bonne mère, qui est un peu distraite, que c’est à La Rochelle qu’il faut m’écrire désormais[2].

  1. Archives de la famille de Victor Hugo.
  2. Archives de la famille de Victor Hugo.