Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Histoire, tome I.djvu/222

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c’était pure mise en scène. — Le combat des trois jours s’est fait en silence. En général, le tambour ni la trompette (excepté dans la nuit du 4). Ailleurs leur tactique était de faire croire cju’il n’y avait rien afin de paralyser. Ils forçaient de rouvrir les boutiques fermées.


Page 127. [Le bruit d’un éperon qui sonne et d’un sabre qui traîne sur le pavé.]

Et l’on s’imagine que désormais, indéfiniment, les idées, les consciences, la générosité des âmes, les instincts de liberté, l’Europe de Luther, la France de Voltaire, le progrès, la civilisation, l’esprit humain, vont se laisser mener à coups de crosse ! quel rêve d’idiot !


Les feuillets 148 et 149 du manuscrit contiennent le fragment suivant, fin inédite du livre : Le parlementarisme.

Eh bien, non ! la tribune n’est pas détruite ! on brise le vase, on répand la liqueur, voilà tout. On chasse les hommes, on ne tue pas l’idée. On brûle quatre planches, on ne brûle pas la tribune.

À l’heure qu’il est, la tribune n’est plus au palais Bourbon, elle est partout. Elle est en France, hors de France, sur tous les pavés, sous tous les arbres des chemins, sous tous les toits, dans tous les foyers, dans tous les cœurs ! elle est dans le regard, dans le geste, dans le souffle, dans le soupir ! elle est dans le mot qu’on dit et dans le mot qu’on sous-entend, dans les larmes qu’on cache, dans le rire qu’on étouffe, dans le numéro du journal qui passe par hasard la frontière, dans ce volume que vous tenez dans vos mains. Elle est chez le pauvre, chez le riche, dans le salon où l’on s’indigne, dans la mansarde où l’on souffre, dans l’atelier où l’on cause à voix basse des proscrits ; elle est sur ce mur où la main d’un enfant a charbonné Vive la République ! elle est dans le titre de ce livre : Napoléon-le-Petit ; elle est dans l’air qui vous apporte un chant, un cri, un refrain ! Allons, enfants de la patrie ! Écoutez ! écoute, ô peuple, c’est la tribune, c’est la tribune de France, jetée à terre, dispersée aux quatre vents, proscrite, exilée, qui flotte autour de toi et qui prend toutes les voix éparses dans l’immensité pour te parler à l’oreille.

C’est la tribune de France qui n’est plus la splendeur de Paris, mais qui est toujours l’âme du monde ! l’éclipse n’est pas la mort. Quelque jour elle reprendra sa forme visible, cette chaire des nations, et reparaîtra ! Un jour, un matin, tout à coup, bientôt peut-être, à l’heure la plus inattendue, une clarté subite emplira Paris, la France, l’Europe. On fermera les yeux d’éblouissement, puis on les rouvrira, — la tribune sera debout ! debout dans Paris, dans sa métropole, à son centre, sous le radieux fronton de la loi, devant cette place de la Révolution qui est en même temps la place de la Concorde. Ces trois mots resplendiront de nouveau, ces trois mots, ces trois lumières qui sont le Mane Thecel Pharès des tyrans : liberté, égalité, fraternité. Alors l’auditoire immense, tous les peuples, et ce qui est plus que tous les peuples, tous les hommes, se pressera de nouveau au pied de l’estrade auguste. On verra sur cette estrade une figure lumineuse, le Génie de la France, qui s’appelle aussi le Progrès, et qui, calme, souriant, étranger aux vengeances et aux représailles,