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Page 69. […et qu'au coin du café Cardinal, un capitaine d’état-major avait été précipité de son cheval.]

4 décembre.

(Bouillonnement de l’indignation publique qui monte.)

Un officier d’état-major (chercher le nom) paraît sur le boulevard. On le hue. Le bon sens de la foule voyait juste ; toute épaulette était complice. L’officier tourne bride et se jette rue Richelieu. On le poursuit. Il pique des deux. Son cheval effaré vient donner tête baissée contre une voiture de plâtre et s’abat. Le cavalier tombe à la renverse, sa tête frappe le pavé et son front rebondit contre le trottoir. — Une clameur s’élève : tuons-le !

— À cheval, oui. À terre, non ! crie un homme qui le couvre de son corps. C’était un de ceux qui le poursuivaient le plus ardemment.

Cet homme arrête la foule. La colère tombe. On ne voit plus qu’un blessé.

Quelques huées pourtant persistaient. L’homme qui avait sauvé l’officier le prend dans ses bras et l’emporte. Plusieurs l’aident. La porte du n° 112 s’entr’ouvre et le blessé y passe. On la referme précipitamment, car la colère reprenait et les cris de mort recommençaient. On porte l’officier dans une écurie au fond de laquelle il y avait une fenêtre habituellement ouverte et donnant sur une cour voisine et par où l’on espérait le faire échapper. Cette fenêtre était malheureusement barricadée par les gens de la maison voisine qui avaient peur.

On monte l’officier au troisième étage dans une chambre où on le couche sur un lit. Il était évanoui. On lave son visage ensanglanté. On va chercher un médecin. Pendant ce temps-là, la foule qui était devant la maison s’était dispersée.

L’officier revient à lui. Le médecin constate qu’il n’a pas d’autre blessure que la double contusion résultant de sa chute, en avant et en arrière de la tête, sans gravité du reste, et qu’il peut remonter à cheval quand il voudra.

L’officier presse les mains de ceux qui l’entourent :

— Vous m’avez sauvé, leur dit-il, qui êtes-vous ?

— Des républicains.

— Et moi, répond-il, je suis légitimiste.

Une heure après il repart. On lui offre de changer de chemise.

— Non, dit-il en regardant avec complaisance sa chemise ensanglantée, cela fera mieux à l’Elysée.

Dix jours après, l’officier a eu la croix.

L’homme qui l’avait sauvé a été traduit comme assassin devant le conseil de guerre et condamné, par contumace heureusement, à mort.

L’officier, appelé à déposer, a déclaré qu’il ne se souvenait de rien.


Page 71. [Par intervalle des convois lugubres traversaient cette multitude…]

Pendant les journées du 3 et du 4, on faisait parcourir Paris par des brancards, des civières et des prolonges militaires portant ces diverses inscriptions : Ambulances, train des équipages militaires, secours aux blessés, afin de terrifier la population. Mais