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PRÉFACE PHILOSOPHIQUE.

l’homme a évidemment plus de droit que la bête. L’anxiété devant une tête coupée suffirait à le prouver. D’où lui vient ce plus de droit ? Appliquons la loi qui vient de nous être révélée. De plus de vie. Où est ce plus de vie ? Non sur, la terre évidemment. Ici-bas un homme meurt comme une mouche. Ici-bas la corneille vit plus longtemps que l’homme. Ce plus de vie est ailleurs. Où ? Inclinez-vous, et regardez l’âme immortelle qui ouvre ses ailes dans l’aurore.

Approfondissons ceci.

Vous êtes-vous jamais rendu compte de ce qu’est le droit de l’homme sur cette terre ? Son droit sur les choses est illimité ; son droit sur les bêtes est effrayant. Détruire les choses à son gré pour les transformer à sa guise, tel est son premier droit. Pour ce qui est des animaux, il peut sans crime, pourvu qu’il ne les fasse pas souffrir inutilement, les prendre, les enchaîner, les atteler, les accoupler, les asservir, les vendre, les émasculer, les tuer, les manger. Quelqu’un peut-il cela sur lui ? Personne. Il y a pourtant des êtres qui le font. D’accord ; mais de force, non de droit. Ceux-là, on les appelle tyrans, on les appelle bourreaux, on les appelle cannibales. Ils cessent d’être hommes ; ils retombent dans la brute ; on les déclare bêtes féroces. On se délivre d’eux comme on peut. Ils sont monstres. Ils sont hors du droit humain. Pourquoi ? Parce qu’ils ont fait à l’homme ce que l’homme fait à l’animal. Mais l’homme, lui, ce despote des choses, est-il un tyran ? Non. Est-il un bourreau ? Non. À la seule condition d’avoir pour but le progrès, l’omnipotence est sa faculté. Il a droit de vie et de mort sur tous les êtres inférieurs. Il est le dictateur redoutable de la matière.

Et la matière en convient, et la chose y consent, et la bête le veut. Voyez cette chienne : au bout de trois mois, rendez-lui ses petits ; elle ne les connaît plus, et les mord ; au bout de trois ans, rendez-lui son maître ; elle le reconnaît, et le lèche. C’est que l’animal n’est pas la fin de l’animal ; ce qui est le but de l’animal pour l’animal lui-même, c’est l’homme. La maternité de la bête est moindre que sa domesticité ; la nature pour elle, c’est l’oubli des petits et le souvenir de l’homme. Confirmation profonde de tout ce que le raisonnement révèle. L’organisme fatal entrevoit confusément l’âme libre et l’adore ; la légitimité de la dictature humaine éclate dans l’adhésion de la matière. L’homme est le maître et n’a pas de maître. Il est propriétaire du globe et souverain de la chose. Son action légitime ne finit que là où l’action légitime d’un autre homme commence. C’est cela qui est la liberté. La liberté, c’est le droit dans son plus grand diamètre, c’est le droit immense. Or, une immensité de droit suppose une immensité de vie. Qu’est-ce qu’une immensité de vie ? C’est la vie sans mesure et sans borne, c’est l’immortalité.