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PRÉFACE PHILOSOPHIQUE.

ce n’est pas repousser la prière. Loin de là. Ces indignations de la tombe contre les sacerdoces dégénérés sont un appel plus profond à Dieu. Le penseur ne proteste jamais contre une religion en elle-même, mais contre l’excès d’alliage humain qui la falsifie. Là où il y a trop de l’homme, il n’y a plus assez de Dieu ; ces deux lignes résument tout ce que la philosophie peut dire contre les idolâtries et les superstitions. Quant à la religion, étant l’irradiation même du fait immanent, elle demeure. Ce n’est pas elle que le mourant repousse, c’est son fantôme. Qui va contempler le visage ne veut pas regarder le masque. Qu’un romain veuille mourir sans le flamine, qu’un turc veuille mourir sans le derviche, qu’un chinois veuille mourir sans le bonze, qu’un nègre veuille mourir sans l’obi, cela ne blesse point l’éternité. Le prodigieux astre de l’infini ne vacille pas au zénith parce que, à l’instant de se coucher tout de son long à jamais, le cadavre retrouve un souffle suprême pour éteindre la chandelle de suif dont on enfumait son cercueil.

Pourtant, il ne faut point s’y méprendre, et nous y insistons, le tombeau sans le temple, c’est redoutable. Cela peut n’être pas compris. Il importe que le gros des esprits irréfléchis ne se fourvoie point, ne mette pas un contresens sous l’utile et rigide leçon donnée par quelques mourants vénérables, et ne traduise pas refus du temple par négation de l’âme, et refus du prêtre par négation de Dieu. Quelquefois la foule s’aveugle de ce qui devrait l’éclairer.

Le plus grand de tous les malheurs, ce serait tout le monde athée. Le jour où l’humanité serait matière, le peuple serait troupeau.

Donc, en attendant qu’il se fasse providentiellement, comme cela arrive à toutes les époques climatériques de la civilisation, quelque transformation divine de la formule religieuse aujourd’hui étroite et usée, il sied que la sagesse des esprits attentifs avise. Jamais les nécessités civiques n’ont été compliquées d’un danger plus sérieux. Il importe que de grands exemples, qui doivent être des enseignements, ne dévient pas, et restent ce qu’ils sont, des actes de foi. Foi plus haute, qu’il faut expliquer. C’est pourquoi, quand il arrive qu’un mourant se sépare des religions régnantes et s’en réfère directement à Dieu, il convient de suppléer aux oraisons officielles par la grande prière humaine et populaire, par la communion des âmes en présence de l’infini. Il y a des cas où le peuple peut officier pontificalement. Là où le prêtre manque, que le philosophe vienne. La tombe est le lieu de la philosophie. Le philosophe n’est autre chose que le prêtre en liberté.

Il ne faut pas se figurer que la philosophie procède par retranchement,