Page:Hugo Hernani 1889.djvu/124

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Surgir, le globe en main, ou la tiare au front.
Le pape et l’empereur sont tout. Rien n’est sur terre
Que pour eux et par eux. Un suprême mystère
Vit en eux, et le ciel, dont ils ont tous les droits,
Leur fait un grand festin des peuples et des rois,
Et les tient sous sa nue, où son tonnerre gronde,
Seuls, assis à la table où Dieu leur sert de monde.
Tête à tête ils sont là, réglant et retranchant,
Arrangeant l’univers comme un faucheur son champ.
Tout se passe entre eux deux. Les rois sont à la porte,
Respirant la vapeur des mets que l’on apporte,
Regardant à la vitre, attentifs, ennuyés,
Et se haussant, pour voir, sur la pointe des pieds.
Le monde au-dessous d’eux s’échelonne et se groupe.
Ils font et défont. L’un délie et l’autre coupe.
L’un est la vérité, l’autre est la force. Ils ont
Leur raison en eux-même, et sont parce qu’ils sont.
Quand ils sortent, tous deux égaux, du sanctuaire,
L’un dans sa pourpre, et l’autre avec son blanc suaire,
L’univers ébloui contemple avec terreur
Ces deux moitiés de Dieu, le pape et l’empereur !
— L’empereur ! l’empereur ! être empereur ! — Ô rage,
Ne pas l’être — et sentir son cœur plein de courage ! —
Qu’il fut heureux celui qui dort dans ce tombeau !
Qu’il fut grand ! De son temps c’était encor plus beau.
Le pape et l’empereur ! ce n’était plus deux hommes.
Pierre et César ! en eux accouplant les deux Romes,
Fécondant l’une et l’autre en un mystique hymen,
Redonnant une forme, une âme au genre humain,
Faisant refondre en bloc peuples et pêle-mêle
Royaumes, pour en faire une Europe nouvelle,
Et tous deux remettant au moule de leur main
Le bronze qui restait au vieux monde romain !
Oh ! quel destin ! — Pourtant cette tombe est la sienne !
Tout est-il donc si peu que ce soit là qu’on vienne ?
Quoi donc, avoir été prince, empereur et roi !