Page:Hugo Hernani 1889.djvu/126

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La pyramide énorme appuyée aux deux pôles,
Flots vivants, qui toujours l’étreignant de leurs plis,
La balancent, branlante, à leur vaste roulis,
Font tout changer de place et, sur ses hautes zones,
Comme des escabeaux font chanceler les trônes,
Si bien que tous les rois, cessant leurs vains débats,
Lèvent les yeux au ciel… Rois ! regardez en bas !
— Ah ! le peuple ! — océan ! — onde sans cesse émue,
Où l’on ne jette rien sans que tout ne remue !
Vague qui broie un trône et qui berce un tombeau !
Miroir où rarement un roi se voit en beau !
Ah ! si l’on regardait parfois dans ce flot sombre,
On y verrait au fond des empires sans nombre,
Grands vaisseaux naufragés, que son flux et reflux
Roule, et qui le gênaient, et qu’il ne connaît plus !
— Gouverner tout cela ! — Monter, si l’on vous nomme,
À ce faîte ! Y monter, sachant qu’on n’est qu’un homme !
Avoir l’abîme là !… — Pourvu qu’en ce moment
Il n’aille pas me prendre un éblouissement !
Oh ! d’états et de rois mouvante pyramide,
Ton faîte est bien étroit ! Malheur au pied timide !
À qui me retiendrais-je ? Oh ! si j’allais faillir
En sentant sous mes pieds le monde tressaillir !
En sentant vivre, sourdre et palpiter la terre !
— Puis, quand j’aurai ce globe entre mes mains, qu’en faire ?
Le pourrai-je porter seulement ? Qu’ai-je en moi ?
Être empereur, mon Dieu ! j’avais trop d’être roi !
Certe, il n’est qu’un mortel de race peu commune
Dont puisse s’élargir l’âme avec la fortune.
Mais, moi ! qui me fera grand ? qui sera ma loi ?
Qui me conseillera ?

Il tombe à genoux devant le tombeau.

Qui me conseillera ? Charlemagne ! c’est toi !
Ah ! puisque Dieu, pour qui tout obstacle s’efface,
Prend nos deux majestés et les met face à face,