contre la ligne droite avec tant de violence qu’il atteint presque la beauté. Jamais on n’a mis au service du mauvais goût un ciseau plus délicat, une fantaisie plus puissante, une invention plus variée. Quatre statues, Crescentius, premier évêque de Mayence en 70 ; Boniface, premier archevêque en 755 ; Willigis, premier électeur en 1011, et Bardo, fondateur du dôme en 1050, se tiennent gravement debout sur le pourtour du chœur, dominé au-dessus du dais asiatique de l’archevêque par le groupe équestre de saint Martin et du pauvre. A l’entrée du chœur se dressent, dans toute la pompe mystérieuse du grand-prêtre hébraïque, Aaron qui représente l’évêque du dedans et Melchisédech qui figure l’évêque du dehors.
_ L’archevêque de Mayence, comme les princes-évêques de Worms et de Liège, comme les archevêques de Cologne et de Trêves, comme― le pape, réunissait dans sa personne le double pontife. Il était à la fois Aaron et Melchisédech.
C’est une sombre et superbe halle romane que la salle capitulaire qui avoisine le chœur et qui répète avec la splendide menuiserie-Pompadour l’antithèse des deux gros clochers. Là, rien qu’un grand mur nu, un pavé poudreux bossue par les reliefs des tombes, un reste de vitrail à la fenêtre basse, un tympan colorié figurant saint Martin, non en cavalier romain, mais en évêque de Tours ; trois grandes sculptures du seizième siècle, qui sont le crucifiement, la sortie du tombeau et l’ascension ; autour de la salle un banc de pierre pour les chanoines, et au fond, pour l’archevêque-président, une large sellette aussi en pierre, qui rappelle cette sévère chaise de marbre des premiers papes qu’on garde à Notre-Dame-des-Doms d’Avignon. Et si l’on sort de cette salle, on entre dans le cloître, cloître du quatorzième siècle, qui de tout temps a été un lieu austère et qui est aujourd’hui un lieu lugubre. Le bombardement de 94 est là écrit partout. De grandes herbes humides parmi lesquelles moisissent des pierres argentées par la bave des reptiles ; des arcades-ogives aux fenestrages brisés ; des tombes fêlées par les obus comme des carreaux de vitre ; des chevaliers de pierre armés de toutes pièces, souffletés à la face par des éclats de bombe et n’ayant plus que cette balafre pour visage ; des haillons