Page:Hugo Rhin Hetzel tome 2.djvu/30

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après, surgissant à l’heure dite, ouvrit ses ailes et jeta cette clameur formidable : Meurent les évêques et les princes, les monastères, les cloîtres, les églises et les palais, plutôt qu’une seule âme !

Et il me semblait que, du milieu des branchages et des ronces, les ruines répondaient de toutes parts : Ô Luther, les évêques et les princes, les monastères, les cloîtres, les églises et les palais sont morts !

Plongée ainsi dans ces choses inépuisables et vivaces qui sont, qui persistent, qui fleurissent, qui verdoient, et qui la recouvrent sous leur végétation éternelle, l’histoire est-elle grande ou est-elle petite ? Décidez cette question si vous pouvez. Quant à moi, il me semble que le contact de la nature, qui est le voisinage de Dieu, tantôt amoindrit l’homme, tantôt le grandit. C’est beaucoup pour l’homme d’être une intelligence qui a sa loi à part, qui fait son œuvre et qui joue son rôle au milieu des faits immenses de la création. En présence d’un grand chêne plein d’antiquité et plein de vie, gonflé de sève, chargé de feuillages, habité par mille oiseaux, c’est beaucoup qu’on puisse songer encore à ce fantôme qui a été Luther, à ce spectre qui a été Jean Huss, à cette ombre qui a été César.

Cependant, je vous l’avoue, il y eut dans ma promenade un moment où toutes ces mémoires disparurent, où l’homme s’évanouit, où je n’eus plus dans l’âme que Dieu seul. J’étais arrivé, je ne pourrais plus dire par quels sentiers, au sommet d’une très haute colline couverte de bruyères courtes, ayant quelque analogie avec le chêne-kermès de Provence, et j’avais sous les yeux un désert, mais un désert joyeux et superbe, un désert divin. Je n’ai rien vu de plus beau dans toutes mes excursions aux environs du Rhin. Je ne sais comment s’appelle cet endroit. Ce n’était autour de moi à perte de vue que montagnes, prairies, eaux vives, vagues verdures, molles brumes, lueurs humides qui chatoyaient comme des yeux entrouverts, vifs reflets d’or noyés dans le bleu des lointains, magiques forêts pareilles à des touffes de plumes vertes, horizons moirés d’ombres et de clartés. — C’était un de ces lieux où l’on croit voir faire la roue à ce paon magnifique qu’on appelle la nature.