Page:Hugo Rhin Hetzel tome 2.djvu/35

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dans le rayon de soleil qui en illuminait le seuil. Rien de plus magique et de plus charmant pour un rêveur assis sur un sépulcre dans une ruine, que cette apparition dans cette lumière. Un poète, à coup sûr, eût eu le droit de voir là des anges et des auréoles. J’avoue que je n’y vis que des anglaises.

Je confesse même à ma honte qu’il me vint sur-le-champ la plate et prosaïque idée de profiter de ces anges pour savoir le nom du château. Voici comment je raisonnai, et cela très-rapidement : Ces anglaises, — car ce sont évidemment des anglaises, elles parlent anglais et elles sont blondes, — ces anglaises, selon toute apparence, sont des visiteuses qui viennent de quelque station de plaisir des environs, de Bingen ou de Rudesheim. Il est clair qu’elles se sont fait de cette masure un objet d’excursion et qu’elles savent nécessairement le nom du lieu qu’elles ont choisi pour but de promenade. — Une fois cela posé dans mon esprit, il ne restait plus qu’à entamer la conversation, et je confesse encore que j’eus recours au plus gauche des moyens employés en pareil cas. J’ouvris mon porte-feuille pour me donner une contenance, j’appelai à mon aide le peu d’anglais que je crois savoir et je me mis à regarder par la meurtrière dans le ravin, en murmurant, comme si je me parlais à moi-même, je ne sais quels épiphonèmes admiratifs et ridicules : Beautiful wiew ! — Very fine, very pretty waterfall  ! etc., etc. — Les jeunes filles, d’abord intimidées et surprises de ma rencontre, se mirent à chuchoter tout bas avec un petit rire étouffé. Elles étaient charmantes ainsi, mais il est évident qu’elles se moquaient de moi. Je pris alors un grand parti, je résolus d’aller droit au fait ; et, quoique je prononce l’anglais comme un irlandais, quoique le th en particulier soit pour moi un écueil formidable, je fis un pas vers le groupe toujours immobile, et m’adressant de mon air le plus gracieux à la plus grande des trois : Miss, lui dis-je en corrigeant le laconisme de la phrase par l’exagération du salut, what is, if you please, the name of his castle ? La belle enfant sourit ; comme je méritais un éclat de rire et que je m’y attendais, je fus touché de cette clémence, puis elle regarda ses deux compagnes et me répondit en rougissant