Page:Hugo Rhin Hetzel tome 2.djvu/48

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horizontalement en jetant un des bouts de la corde hors du bateau. La barque s’arrêta rudement. Nous abordions.

Je levai les yeux. À une demi-portée de pistolet, sur une petite île qu’on n’aperçoit pas du bord du fleuve, se dressait la Maüsethurm, sombre, énorme, formidable, déchiquetée à son sommet, largement et profondément rongée à sa base, comme si les rats effroyables de la légende avaient mangé jusqu’aux pierres.

La lueur n’était plus une lueur ; c’était un flamboiement éclatant et farouche qui jetait au loin de longs rayonnements jusqu’aux montagnes et sortait par les crevasses et par les baies difformes de la tour comme par les trous d’une lanterne-sourde gigantesque.

Il me semblait entendre dans le fatal édifice une sorte de bruit singulier, strident et continu, pareil à un grincement.

Je mis pied à terre, je fis signe au batelier de m’attendre, et je m’avançai vers la masure.

Enfin j’y étais ! — C’était bien la tour de Hatto, c’était bien la tour des rats, la Maüsethurm ! elle était devant mes yeux, à quelques pas de moi, et j’allais y entrer ! — Entrer dans un cauchemar, marcher dans un cauchemar, toucher aux pierres d’un cauchemar, arracher de l’herbe d’un cauchemar, se mouiller les pieds dans l’eau d’un cauchemar, c’est là, à coup sûr, une sensation extraordinaire.

La façade vers laquelle je marchais était percée d’une petite lucarne et de quatre fenêtres inégales toutes éclairées, deux au premier étage, une au second et une au troisième. À hauteur d’homme, au-dessous des deux fenêtres d’en bas, s’ouvrait toute grande une porte basse et large, communiquant avec le sol au moyen d’une épaisse échelle de bois à trois échelons. Cette porte, qui jetait plus de clarté encore que les fenêtres, était munie d’un battant de chêne grossièrement assemblé que le vent du fleuve faisait crier doucement sur ses gonds. Comme je me dirigeais vers cette porte, assez lentement à cause des pointes de rochers mêlées aux broussailles, je ne sais quelle masse ronde et noire passa rapidement auprès de moi, presque entre mes pieds, et il me sembla voir un gros rat s’enfuir dans les roseaux.

J’entendais toujours le grincement.