Page:Hugo Rhin Hetzel tome 2.djvu/51

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sommet de l’édifice des dents de cachalot ou des os de mastodonte scellés dans la muraille.

Au-dessus de la tourelle, à l’extrémité d’un long mât, flotte et se déchire au vent un triste haillon blanc et noir. Je trouvais d’abord je ne sais quelle harmonie entre cette ruine de deuil et cette loque funèbre. Mais c’est tout simplement le drapeau prussien.

Je me suis rappelé qu’en effet les domaines du grand-duc de Hesse finissent à Bingen. La Prusse rhénane y commence.

Ne prenez pas, je vous prie, en mauvaise part ce que je vous dis là du drapeau de Prusse. Je vous parle de l’effet produit, rien de plus. Tous les drapeaux sont glorieux. Qui aime le drapeau de Napoléon n’insultera jamais le drapeau de Frédéric.

Après avoir tout vu et cueilli un brin d’euphorbe, j’ai quitté la Maüsethurm. Mon batelier s’était rendormi. Au moment où il reprenait son aviron et où la barque s’éloignait de l’île, les deux forgerons s’étaient remis à l’enclume, et j’entendais siffler dans le baquet d’eau la barre de fer rouge qu’ils venaient d’y plonger.

Maintenant que vous dirai-je ? Qu’une demi-heure après j’étais à Bingen, que j’avais grand’faim, et qu’après mon souper, quoique je fusse fatigué, quoiqu’il fût très tard, quoique les bons bourgeois fussent endormis, je suis monté, moyennant un thaler offert à propos, sur le Klopp, vieux château ruiné qui domine Bingen.

Là j’ai eu un spectacle digne de clore cette journée où j’avais vu tant de choses et coudoyé tant d’idées.

La nuit était à son moment le plus assoupi et le plus profond. Au-dessous de moi un amas de maisons noires gisait comme un lac de ténèbres. Il n’y avait plus dans toute la ville que sept fenêtres éclairées. Par un hasard étrange, ces sept fenêtres, pareilles à sept rouges étoiles, reproduisaient avec une exactitude parfaite la Grande-Ourse qui étincelait, en cet instant-là même, pure et blanche au fond du ciel ; si bien que la majestueuse constellation, allumée à des millions de lieues au-dessus de nos têtes, semblait se refléter à mes pieds dans un miroir d’encre.