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Page:Hugo Rhin Hetzel tome 3.djvu/101

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Je n’aurais pas quitté Bâle sans visiter la bibliothèque. Je savais que Bâle est pour les Holbein ce que Francfort est pour les Albert Durer. À la bibliothèque, en effet, c’est un nid, un tas, un encombrement ; de quelque côté qu’on se tourne, tout est Holbein. Il y a Luther, il y a Erasme, il y a Mélanchthon, il y a Catherine De Bora, il y a Holbein lui-même, il y a la femme de Holbein, belle femme d’une quarantaine d’années, encore charmante, qui a pleuré et qui rêve entre ses deux enfants pensifs, qui vous regarde comme une femme qui a souffert, et qui pourtant vous donne envie de baiser son beau cou. Il y a aussi Thomas Morus avec toute sa famille, avec son père et ses enfants, avec son singe, car le grave chancelier aimait les singes. Et puis il y a deux Passions, l’une peinte, l’autre dessinée à la plume ; deux Christ morts, admirables cadavres qui font tressaillir. Tout cela est de Holbein ; tout cela est divin de réalité, de poésie et d’invention. J’ai toujours aimé Holbein ; je trouve dans sa peinture les deux choses qui me touchent, la tristesse et la douceur.

Outre les tableaux, la bibliothèque a des meubles ; force bronzes romains trouvés à Augst, un coffre chinois, une tapisserie-portière de Venise, une prodigieuse armoire du seizième siècle (dont on a déjà offert douze mille francs, me disait mon guide), et enfin la table de la diète des treize cantons. C’est une magnifique table du seizième siècle, portée par des guivres, des lions et des satyres qui soutiennent le blason de Bâle, ciselée aux armes des cantons, incrustée d’étain, de nacre et d’ivoire ; table autour de laquelle méditaient ces avoyers et ces landammans redoutés des empereurs ; table qui faisait lire à ces gouverneurs d’hommes cette solennelle inscription : Supra naturam praesto est deus. ― Elle est, du reste, en mauvais état. La bibliothèque de Bâle est assez mal tenue ; les objets y sont rangés comme des écailles d’huîtres. J’ai vu sur un bahut un petit tableau de Rubens qui est posé debout contre une pile de bouquins, et qui a déjà dû tomber bien des fois, car le cadre est tout brisé. ― Vous voyez qu’il y a un peu de tout dans cette bibliothèque, des tableaux, des meubles, des étoffes rares ; il y a aussi quelques livres.

Mon ami, j’arrête ici cette lettre, griffonnée, comme vous