l’Ambigu au milieu de la grande et éternelle poésie de Jéhovah.
Les deux géants qui redressent la tête, je veux dire les deux plus grands rochers, semblent se parler. Ce tonnerre est leur voix. Au-dessus d’une épouvantable croupe d’écume, on aperçoit une maisonnette paisible avec son petit verger. On dirait que cette affreuse hydre est condamnée à porter éternellement sur son dos cette douce et heureuse cabane.
Je suis allé jusqu’à l’extrémité du balcon ; je me suis adossé au rocher.
L’aspect devient encore plus terrible. C’est un écroulement effrayant. Le gouffre hideux et splendide jette avec rage une pluie de perles au visage de ceux qui osent le regarder de si près. C’est admirable. Les quatre grands gonflements de la cataracte tombent, remontent et redescendent sans cesse. On croit voir tourner devant soi les quatre roues fulgurantes du char de la tempête.
Le pont de bois était inondé. Les planches glissaient. Des feuilles mortes frissonnaient sous mes pieds. Dans une anfractuosité du roc, j’ai remarqué une petite touffe d’herbe desséchée. Desséchée sous la cataracte de Schaffhouse ! Dans ce déluge, une goutte d’eau lui a manqué. Il y a des cœurs qui ressemblent à cette touffe d’herbe. Au milieu du tourbillon des prospérités humaines, ils se dessèchent. Hélas ! C’est qu’il leur a manqué cette goutte d’eau qui ne sort pas de la terre, mais qui tombe du ciel, l’amour !
Dans le pavillon turc, lequel a des vitraux de couleur, et quels vitraux ! Il y a un livre où les visiteurs sont priés d’inscrire leurs noms. Je l’ai feuilleté. J’y ai remarqué cette signature : Henri, avec ce paraphe : . Est-ce un V ?
Combien de temps suis-je resté là, abîmé dans ce grand spectacle ? Je ne saurais vous le dire. Pendant cette contemplation, les heures passeraient dans l’esprit comme les ondes dans le gouffre, sans laisser trace ni souvenir.
Cependant on est venu m’avertir que le jour baissait. Je suis remonté au château, et de là je suis descendu sur la grève d’où l’on passe le Rhin pour gagner la rive droite.