La Russie a dévoré la Turquie.
L’Angleterre a dévoré l’Espagne.
C’est, à notre sens, une dernière et définitive assimilation. Un état n’en dévore un autre qu’à la condition de le reproduire.
Il suffit de jeter les yeux sur deux cartes d’Europe dressées à cinquante ans d’intervalle, pour voir de quelle façon irrésistible, lente et fatale, la frontière moscovite envahit l’empire ottoman. C’est le sombre et formidable spectacle d’une immense marée qui monte. À chaque instant et de toutes parts le flot gagne, la plage disparaît. Le flot, c’est la Russie ; la plage, c’est la Turquie. Quelquefois la lame recule, mais elle surgit de nouveau le moment d’après, et cette fois elle va plus loin. Une grande partie de la Turquie est déjà couverte, et on la distingue encore vaguement sous le débordement russe. Le 20 août 1828, une vague est allée jusqu’à Andrinople. Elle s’est retirée ; mais, lorsqu’elle reviendra, elle atteindra Constantinople.
Quant à l’Espagne, les dislocations de l’empire romain et de l’empire carlovingien peuvent seules donner une idée de ce démembrement prodigieux. Sans compter le Milanais, que l’Autriche a pris, sans compter le Roussillon, la Franche-Comté, les Ardennes, le Cambrésis et l’Artois, qui ont fait retour à la France, des morceaux de l’antique monarchie espagnole il s’est formé en Europe, et encore laissons-nous en dehors le royaume d’Espagne proprement dit, quatre royaumes, le Portugal, la Sardaigne, les Deux-Siciles, la Belgique ; en Asie, une vice-royauté, l’Inde, égale à un empire ; et, en Amérique, neuf républiques, le