européen, les classes mal partagées dérangent l’ordre social. Tantôt l’Europe, tantôt l’état, sont brusquement et violemment attaqués, l’Europe par ceux qui ont froid, l’état par ceux qui ont faim, c’est-à-dire l’une par le nord, l’autre par le peuple. Le nord procède par invasions, et le peuple par révolutions. De là vient qu’à de certaines époques la civilisation s’affaisse et disparaît momentanément sous d’effrayantes irruptions de barbares, venant les unes du dehors, les autres du dedans ; les unes accourant vers le midi du fond du continent, les autres montant vers le pouvoir du bas de la société. Les intervalles qui séparent ces grandes, et, disons-le, ces fécondes quoique douloureuses catastrophes, ne sont autre chose que la mesure de la patience humaine marquée par la providence dans l’histoire. Ce sont des chiffres posés là pour aider à la solution de ce sombre problème : combien de temps une portion de l’humanité peut-elle supporter le froid ? Combien de temps une portion de la société peut-elle supporter la faim ?
Aujourd’hui pourtant il semble s’être révélé une loi nouvelle, qui date, pour le premier ordre de faits, de l’abaissement de la monarchie espagnole, et, pour le second, de la transformation de la monarchie française. On dirait que la providence, qui tend sans cesse vers l’équilibre et qui corrige par des amoindrissements continuels les oscillations trop violentes de l’humanité, veut peu à peu retirer aux régions extrêmes dans l’Europe et aux classes extrêmes dans l’état cet étrange droit de voie de fait qu’elles s’étaient arrogé jusqu’ici, les unes pour tyranniser et pour exclure, les autres pour agiter et pour détruire. Le gouvernement du monde semble appartenir désormais aux régions tempérées et aux classes moyennes. Charles-Quint a été le dernier grand représentant de la domination méridionale, comme Louis XIV le dernier grand représentant de la monarchie exclusive. Cependant, quoique le midi ne règne plus sur l’Europe, quoique l’aristocratie ne règne plus sur la société, ne l’oublions pas, les classes moyennes et les nations intermédiaires ne peuvent garder le pouvoir qu’à la condition d’ouvrir leurs rangs. Des masses profondes sommeillent et souffrent dans les régions extrêmes et attendent,