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bouteille,… je crois que j’ai envie de pleurer… » Et ainsi de suite, durant une heure.

Leur chagrin a vite sombré sous les fréquentes lampées de whisky… les silences sont moins longs… les voilà expansifs… ils ne sont plus rigides sur les chaises trop solennelles… Ils bavardent et bavent comme au cabaret. Ils plaisantent, rient autour du cadavre, l’apostrophent avec des propos grossiers, burlesques…

Il y a quelque chose d’affreusement douloureux dans ce spectacle.

Soudain, Buvron a une idée.

« Dis donc, Ripoche, ce pauvre Joe, il ne boira plus ; on va lui payer la traite une dernière fois… »

Un rire épais, sans paroles, accueille la proposition. À deux ils saisissent le cadavre à bras-le-corps, le tirent du lit, l’appuient au mur… Pendant que Buvron, avec effort, le maintient debout, l’autre vide dans la bouche du mort le reste de la bouteille…

Ils n’en peuvent plus de rire. Le cadavre s’affale par terre, sa bouche rend le liquide…

Le matin, Ripoche et Buvron ronflaient sur le plancher, dans une mare de whisky, collés au cadavre qu’ils tenaient embrassé…