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Page:Hugolin - Au fond du verre, histoires d'ivrognes, 1908.djvu/23

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plet, il retournait chez lui : et chez lui, couché dans son lit, il cuvait son whisky en un somme profond, béat, grand comme le monde. Vous n’avez pas vu dormir le père Michaud, vous autres. Il dormait à poings fermés, les yeux en dedans… On aurait tiré du canon à côté de lui que pas un poil de sa barbe n’eût bronché ; on lui aurait placé une bouteille de whisky sous le nez que ses narines n’en eussent pas été plus émues que d’un verre d’eau… Non, mais ce qu’il dormait, vous n’avez pas idée de ça. Il faisait plaisir à voir.

Or vous savez — ou vous ne savez pas — que le bonheur vient en dormant ? Le proverbe l’assure, et le père Michaud le dirait également, si seulement il voulait raconter sa guérison. Le bonheur, alléché par un si beau sommeil vint rôder auprès du lit du dormeur, un samedi soir, et se présenta à lui sous forme de…

— Sous forme de…

— Allons, ne dansez pas plus vite que le violon.

La mère Michaud en était arrivée à ce tournant de l’existence où une femme d’ivrogne choisit entre l’espoir quand même et le légitime découragement. Allait-elle mourir sans avoir eu un mari sobre ?…

Avant de prendre le parti de la désespérance, elle se gratta le front une dernière fois. C’était justement un samedi soir, à côté du lit de son homme qui saoul comme un polonais,