Page:Huguenin (Madeleine) - Anne Mérival, La Revue Moderne Oct-Nov-Déc 1927.djvu/27

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rions-nous ne pas vieillir, murmura Henri à voix presque basse ?

Anne l’avait entendu. Le même soupçon l’étreignit de ce grave garçon qui allait l’aimer. Sa loyauté lui interdisait de laisser germer un espoir impossible, mais faudrait-il donc abdiquer la joie d’avoir une amitié telle que celle-là ?

Simplement elle répondit :

— À notre tour, il nous faudra vieillir.

Lui, s’enhardit jusqu’à dire :

— Ceux qui s’aiment ne vieillissent jamais… Vous songez à Philémon et à Baucis, moi je songe à mes vieux, papa et maman, qui se regardent toujours avec les yeux de leur jeunesse, se trouvent toujours beaux, et toujours jeunes, je vous l’assure. Maman fait des petites mines à papa qui guette son sourire, et dont la physionomie s’éclaire quand elle est là, et s’embrume lorsqu’il ne la voit pas tout de suite, en entrant dans la maison… C’est ainsi que j’ai toujours rêvé la vie à deux, s’aimant tellement que l’on oublie que les ans ont passé, et que nous sommes devenus de vieilles choses…

Anne souriait. Elle trouvait si joli d’entendre dire papa et maman à ce grand garçon qui avait bien près de trente ans. De la voir gaie lui fit du bien, et il se mit tout doucement à espérer qu’un jour, elle saurait l’aimer. Quelle joie ce serait d’emporter dans la vie cette jeune femme rayonnante de jeunesse et de talent, de l’asseoir à son foyer, d’en faire sa confidente et son amie, de se l’associer, d’intelligence et d’âme, pour faire la vie belle et l’avenir éclatant. D’ailleurs le hasard qui les avait rapprochés n’avait-il pas voulu cette union ? Henri le croyait sincèrement, et il lui semblait impossible qu’Anne n’y eut pas elle-même pensé. Peut-être ne l’aimait-elle pas encore, mais à se sentir enveloppée de tant de tendresse, elle ne saurait résister, et un espoir doux et fort le rendait déjà heureux…

Ils se sourirent plus doucement, ce jour-là, en se séparant, et Henri ne comprit pas tout ce qu’exprimait de mélancolique regret le regard qu’Anne lui donna tandis que leurs mains se rejoignaient spontanément.

Elle avait compris qu’il ne fallait pas s’abandonner à la douceur d’une affection pareille, mais pour la première fois elle eut, devant le sacrifice qui s’imposait, un grand geste de révolte, et de plein gré elle laissa le courant l’emporter…


VI


— Je t’assure que tu es très gentille…

Mais à l’affirmation sincère d’Henriette, Anne eut cependant une moue.

— Je t’affirme… voulut encore protester la jeune fille.

— Non, non, n’affirme rien, ni toi ni moi ne connaissons cela, ma petite. N’oublie pas que nous sommes à peine débarquées de Clair-Ruisseau, et ce qui nous paraît fort chic, à nous deux, peut faire sourire les vraies élégantes. Mais qu’importe, après tout, je ne vais pas là pour éblouir personne.

— Au fait, pourquoi y vas-tu ? demanda Henriette.

À cette question si nette, Anne ne sut que répondre. Elle n’aurait pu dire à quel mobile elle avait obéi en acceptant la proposition d’Henri Daunois. Elle ne comprenait pas encore tout ce que sa jeunesse comprimée dans le travail réclamait d’air et de lumière. Elle ne saisissait pas qu’elle avait cédé simplement à l’attrait irraisonné de voir une fête brillante, de jouir de la musique, de la toilette, de tout. Et puis, n’avait-elle pas eu irrésistiblement le désir de dire oui à un camarade. Mais ce camarade, jusqu’à quel point était-elle décidée à lui obéir ?… Tout cela était bien obscur, en vérité. Aussi, de quel droit Henriette venait-elle l’entraîner à un examen de conscience ?

— Enfin, pourquoi vas-tu à cette soirée,