Page:Huguenin (Madeleine) - Anne Mérival, La Revue Moderne Oct-Nov-Déc 1927.djvu/39

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

dans la pensée d’Anne, comme une petite chose fragile autant qu’émouvante, qui fait que, depuis qu’elle n’est plus là, souvent Anne se demande si elle a vraiment connu le cœur de son amie.

Les jours qui suivirent le départ d’Henriette virent Anne désemparée, et toute l’amitié de Claire Benjamin et d’Henri Daunois s’employa à combler le vide douloureux, alors que les lettres de Jean cessaient de prier et de reprocher et atteignaient au ton de la plus sublime abnégation. Pourtant subtile, elle ne saisit pas le sacrifice qui tout doucement montait entre les lignes.

Paul Rambert avait emmené sa femme dans le nord canadien, il tentait ce moyen de ranimer la jeune femme qu’un mal implacable minait, et dont il avait le souci de ménager les dernières forces. Lorsqu’il apprit le succès et le départ d’Henriette Mélines, il écrivit à Anne :


« Petite Mademoiselle amie,

« Les journaux m’apportent, avec la nouvelle du succès retentissant de votre amie Henriette, celle de son départ immédiat pour la France. Ce n’est certes pas elle que je plains, mais vous qui aller être privée de cette amie merveilleuse, alors qu’elle vivra de la vie française si belle, si forte, si prenante lorsqu’on sait la comprendre et l’apprécier. Vous devez vous sentir seule tous ces premiers jours, et la sympathie de ceux qui vous aiment saura-t-elle se faire assez active et attentionnée pour empêcher la tristesse de vous dominer ?…

« Nous avons causé, ma femme et moi, de vous, et bien affectueusement hier soir. Elle craint que vous n’ayiez pas oublié la nervosité qu’elle eut à votre égard ce soir, que j’aurais voulu parfait, où vous partagiez la joie de notre maison. Je vous ai dit alors qu’elle souffrait. Son mal empire tous les jours, et la maladie avive en elle de si jolis sentiments. Nous vivons dans une communion de pensées que nous n’avions pas encore connue. De vive qu’elle était, elle ne m’offre plus que de la douceur, et il semble qu’elle cultive d’avance dans ma pensée la place où bientôt elle s’endormira… C’est une chose atroce de voir s’en aller les êtres qui ont occupé notre vie et l’ont souvent dirigée… Vous voyez, petite Mademoiselle sympathique, que j’ai bien le droit de vous écrire, puisque vous recevez en votre courrier tous les malheureux. Seulement, je vous demanderai e me faire la gentillesse d’une réponse pour moi tout seul.

« Je vous écris d’une grotte que j’ai découverte, où j’aime à m’étendre sur le sable fin et à rêvasser en écoutant le bruit du silence. J’y emporte mes livres et mes paperasses. J’y écris des lettres et des articles. Le reste du temps j’étudie, et prépare une série de conférences que l’on m’a demandée pour l’automne. Jamais je ne me suis senti une telle ardeur au travail, et j’ai honte d’offrir à ma femme, qui ne peut plus rien faire, le spectacle d’une activité qui déborde. Pourvu que, de toute cette force qui m’agite, je sache tirer quelque chose qui vaille.

« Et vous, petite Mademoiselle vaillante, partirez-vous bientôt pour votre village y chercher d’autres sujets qui vous feront nous raconter de jolies choses ? Vos articles me ravissent ; je les lis à ma femme qui les aime. Écrivez sans vous lasser jamais, et surtout, permettez que j’insiste, ne désertez pas ! »


Anne fut heureuse de ce billet comme on l’est des choses que l’on n’espère pas. Elle répondit tout d’un élan, inconsciente de la place qu’allait prendre, dans sa pensée, l’attente de nouvelles missives, et ainsi s’établit, entre Paul Rambert et Anne Mérival, cette intimité que les lettres ont si souvent le don de créer. Elle arriva ainsi à lui livrer de son