Page:Huguenin (Madeleine) - Anne Mérival, La Revue Moderne Oct-Nov-Déc 1927.djvu/43

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Elle s’arrêta un moment pour regarder l’adorable paysage des hautes montagnes qui encaissaient la vallée et regarder la rivière limpide où les petits cailloux blancs riaient au soleil. Elle écouta la chanson de l’eau rieuse, chanson qui avait bercé tant de rêves, alors qu’elle pensait ne jamais changer d’horizon, et que l’amour de Jean satisfaisait son cœur. Elle salua son village qui s’éveillait radieux, et soudain, pour lui souhaiter la bienvenue, l’angelus sonna. Anne s’arrêta et tout naturellement lui revint le geste désappris de s’incliner au son de la cloche. Elle poussa la barrière qui grinça un gémissement… L’herbe, tout autour de la maison, avait été fauchée, et Anne remercia Jean qui, seul, avait pu ainsi préparer l’accueil à sa petite amie qui ne devait pas, en rentrant dans sa demeure, recevoir une impression d’abandon. « Pauvre Jean » dit-elle, pour le remercier. « Pauvre Jean » ! C’est ainsi qu’elle le nommait toujours, maintenant, lorsqu’elle pensait à lui… Elle poussa la porte et entra. Au lieu de poussière et de désordre, elle trouva tout propre et rangé. Là encore, elle reconnut l’attention de son ami, et un remords lui vint d’être venue seule, alors que, sans doute, il avait espéré la ramener dans le logis de son enfance. D’une potiche de vieille faïence émergeait toute une moisson de fleurs. La maison sentait bon, elle lui faisait fête. Anne rentrait comme si elle revenait d’une promenade, et un moment elle crut qu’elle n’était jamais partie et que la vie d’autrefois n’était pas interrompue. Elle reprit possession de toutes les chambres, et remonta le cours de ses souvenirs. Pauvre petite Anne et pauvre petite vie ! L’émotion qui la tenaillait mettait de la fièvre à ses joues et du feu dans ses yeux. Elle avait la nette impression d’être devenue une étrangère pour toutes les choses qui étaient là et que rien de son passé ne la reconnaissait. Cette pensée étreignait sa gorge et le supplice de son cœur alourdi soudain crispait sa poitrine. Elle avait escompté son retour comme une joie immense, et voilà qu’elle se sentait, au centre de ses pénates retrouvées, encore une absente. Elle aurait éprouvé, à pleurer, presque de la joie, mais les larmes sont souvent une récompense,