Page:Huguenin (Madeleine) - Anne Mérival, La Revue Moderne Oct-Nov-Déc 1927.djvu/45

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un léger mouvement. Cependant maints petits détails réclamaient : ici, un peu de peinture ; là une restauration ; plus loin une planche à remplacer… Elle songea à quelques belles campagnes où les clôtures n’existaient pas, et qui lui avaient paru si jolies, et elle se demanda si elle ne ferait pas bien d’abolir la sienne. Non, elle ne changerait rien à sa maison, elle aimait à la voir entourée de ce fragile enclos qui la faisait plus privée, plus à elle. À elle, et pour combien de temps ? Anne se posa la question, mais ne voulut pas y répondre tout de suite. Elle reculait instinctivement l’heure des décisions.

Une petite fille la regardait venir en souriant. Anne essayait de la reconnaître et n’y parvenait pas :

— Vous ne me remettez pas, Mm’zelle Mérival ? Je suis Louise, la petite Louise à la Marie à Germain…

— Comme tu es devenue grande, fit Anne en l’embrassant, ravie de retrouver cette façon savoureuse de se présenter au village, en nommant les prénoms de deux ou trois générations, pour éviter la confusion des noms de famille se répétant à l’infini :

— Tu es bien Louise Tremblay ? Et comment va ta maman, ton papa, tes petits frères ? Elle prit la main de l’enfant qui continua de cheminer à ses côtés, en lui donnant les nouvelles du canton et quand Anne atteignit la maison des Deschâtelets, elle savait que le fils de Joseph à Pierre allait épouser la fille de François à Philippe, et que le père Grandin avait vendu son clôs d’en bas à la veuve Prévost qui y avait bâti une maison pour loger son fils Émile nouvellement marié à la fille de Côme à Séraphin, qui lui avait apporté en dot le moulin du bord de l’eau, une vache, un cochon, deux moutons, dix couvertures de laine du pays, deux douzaines de draps, des tas de serviettes, sans compter le ménage que Louise décrivait avec ravissement. Elle apprit encore que Monsieur le Curé avait défendu aux filles de sortir avec les garçons, le soir, et qu’il avait dit du haut de la chaire que, s’il rencontrait des couples passé huit heures, il les séparerait et irait reconduire les jeunes filles chez leurs pa-