Aller au contenu

Page:Hugues - Alexandre Corréard, de Serres, naufragé de la Méduse.djvu/10

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

de ces côtes commencèrent à s’alarmer. Ils tenaient pour essentiel d’éviter le banc d’Arguin, qui s’étend à plus de trente lieues au large ; on méprisa leurs avertissements.

Le 2 juillet, dès le matin, on remarqua beaucoup d’herbes autour du navire ; on pêchait des poissons qui s’éloignent peu des côtes ; la couleur de l’eau n’était plus la même. À onze heures et demie, le pilote annonça qu’on entrait sur le banc. Les officiers voulaient retourner en arrière. Richefort, l’homme de confiance du capitaine, affirma qu’il n’y avait pas sujet de s’alarmer. En conséquence, M. de Chaumareys ordonna d’augmenter la voilure. À trois heures un quart de l’après-midi, on ressentit une forte secousse ; la frégate avait touché !

On perdit en essais infructueux pour la dégager non seulement la fin de la journée du 2, mais encore les journées des 3 et 4. Dans la nuit du 4 au 5, le ciel s’obscurcit, le vent s’éleva, la mer grossit. La frégate était de plus en plus violemment secouée. Vers trois heures, le maître calfat vint annoncer qu’une voie d’eau s’était ouverte et que le bâtiment allait s’emplir. La carcasse était fendue ; la quille se brisa en deux parties. Le 5, à la pointe du jour, l’eau ayant déjà pénétré jusqu’à l’entrepont, on décida qu’il fallait abandonner la Méduse.

Dix-sept matelots ou passagers ne voulurent pas quitter le navire, par crainte de mourir en route et comptant sur le passage d’un vaisseau qui les sauverait, ou ne le purent vu leur état d’ivresse. Cinquante-deux jours après, trois d’entre eux furent retrouvés survivants par la goélette l’Argus, envoyée à leur secours.

Il y avait à bord six embarcations. C’était insuffisant pour contenir quatre cents personnes. Le plus grand nombre s’embarqua dans les canots. Ceux-là parvinrent presque tous à Saint-Louis, après une traversée plus ou moins pénible. Quelques-uns abordèrent sur les rivages du Sahara et n’achevèrent leur voyage qu’après d’émouvantes péripéties ; mais le récit de leurs aventures m’entraînerait trop loin, et, d’ailleurs, sortirait de mon sujet.