Page:Hugues - Les Libres Paroles, Fayard.djvu/124

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
— 120 —


Déjà, dans la clameur des cavaliers numides,
Son altier souvenir, à nul autre pareil.
Grondait aux bords du Nil, tonnait aux Pyramides ;
Et le ciel d’Austerlitz en ses brouillards humides
Déjà lui couvait un soleil.

Quand il passait, les bras croisés, les lèvres closes,
Les yeux fixes, courbé sous son tragique ennui,
Les nobles lauriers verts, plaqués de clartés roses,
Disaient aux demi-dieux ivres d’apothéoses :
— Nous ne poussons plus que pour lui !

— « Oh ! songeait-il, voici que mon heure est venue !
Les plus grands ont un peu de mon ombre à leurs front
J’ai couché dans mou lit la gloire toute nue ;
Et demain l’astre d’or qui brille dans la nue
Etoilera mes éperons.

Ce siècle est un enfant encore, il naît à peine,
Mais je le vêtirai d’une armure d’acier ;
Je gonflerai ses flancs de ma puissante haleine,
Et je l’emporterai par les monts et la plaine.
Sur la croupe de mon coursier.

Je lui façonnerai, pour sauver ma mémoire,
Un visage moulé sur mon masque romain.
Quand nous galoperons à travers la nuit noire,
S’il a soif et s’il crie, eh bien ! il pourra boire
Le sang rouge au creux de ma main.

Je ne le laisserai poser ses pieds à terre
Qu’en le faisant marcher sur des nuques de rois.
Pour écrire son nom, son grand nom militaire,
L’Histoire, qui pourtant n’oserait pas le taire,
Aura des feuillets trop étroits.