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Page:Hume - Œuvres philosophiques, tome 4, 1788.djvu/132

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Dissertation.

qui forcent de leur bouche, & à la supériorité qu’on leur remarque : ils prennent bientôt l’ascendant sur les autres hommes : le ton vif & animé, avec lequel ils s’expriment, donne une vogue générale aux ouvrages de génie qu’ils approuvent. Il y a bien des gens qui par eux-mêmes n’ont qu’un sentiment foible, vague & incertain ; & qui cependant sont capables de goûter les belles choses lorsque l’on leur fait connoître, & qu’on les met sur les voies. Un homme s’est-il mis en état d’admirer un excellent poëme, ou une belle piece d’éloquence ? il communique son admiration ; & chaque conversion qu’il fait en produit de nouvelles. Le préjugé peut, pour un tems, offusquer le vrai génie ; mais on ne voit pourtant jamais les suffrages réunis en faveur de faux génie ; & le préjugé même doit à la fin céder à la force du sentiment que la belle nature excite. Une nation civilisée peut se méprendre dans le choix du philosophe qu’elle met au premier rang ; mais elle ne se trompera pas long-tems sur le poëte, tragique ou épique, à qui cet honneur appartient.