Page:Huot - La ceinture fléchée, 1926.djvu/10

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
9
LA CEINTURE FLÉCHÉE

doute que pour tuer un orignal ou un chevreuil. Cependant, le regard du guide ne pouvait se décider à le quitter.

À un moment, Jérôme s’aperçut que l’inconnu semblait suivre avec un intérêt particulier toutes les conversations où il était question du vieillard mystérieux.

Qu’est-ce que cela voulait dire ?

Jérôme se rapprocha de lui et engagea la conversation :

— D’où venez-vous donc cher monsieur ? questionna-t-il.

— Moi, je viens de la Rivière-du-Loup.

— Sans indiscrétion, que faites-vous ?

— Je suis commerçant.

Jérôme lui dit significativement :

— Mon nom est Jérôme Fiola, guide de la région.

Le jeune homme comprit et dit :

— Le mien est Jacques Martial, marchand de gros. Je viens ici pour chasser l’orignal. Pourriez-vous me servir de guide. Après-demain…

— Non, pas après-demain, je suis retenu par un autre. Mais je pourrai certes vous piloter demain dans la forêt.

— Va pour demain.

Alors le jeune homme baissa la voix et lui demanda à l’oreille :

— Avez-vous entendu parler d’un vieillard qui est censé vivre dans cette région, quelque part dans les bois ?

Jérôme se dit : « Tiens, ça commence à mordre. » Puis il répliqua :

— J’en ai bien entendu parler. Mais je crois que ce vieillard n’existe que dans l’imagination populaire.

— Vous ne l’avez pas vu alors ?

— Mais non.

— Vous ne l’avez pas vu bien que vous soyez chaque jour dans les bois ?

— Qui vous a dit que j’étais chaque jour dans les bois ?

— Dame ! un guide comme vous…

— Non, je ne l’ai pas vu ; et de plus je vous répète que je ne crois pas à l’existence de ce vieillard.

Jérôme et Jacques Martial se donnèrent rendez-vous à l’endroit même pour le lendemain matin.

Le guide décida alors de ne pas retourner chez lui. Il monta se coucher en ressassant dans son esprit la conversation qu’il venait d’avoir avec le jeune homme. Décidément le vieillard n’intéressait pas que les gens de Sainte-Blandine et du rang Lepage. On venait jusque de la Rivière-du-Loup pour s’informer de lui.


CHAPITRE IV

LE PORTRAIT


Les chevreuils frémissaient sous leur harnais léger. Jérôme Fiola les caressa successivement. Il leur passait la main sur le museau et les aristocratiques bêtes des bois lui léchaient la main, faisant de la tête des mouvements brusques, pendant que dans leurs yeux éternellement apeurés, on pouvait lire un reste de sauvagerie.

Jérôme venait de « prendre l’air », suivant son expression. Chaque matin, quand la neige était « bonne », il faisait une dizaine de milles dans sa traîne. C’était sa course d’appétit ; il déjeunait ensuite.

Comme il arrivait près de la maison où, la veille, avait eu lieu la soirée de la Sainte-Catherine et où il avait passé la nuit, le jeune homme qui disait s’appeler Jacques Martial en sortit.

— Hola ! Comment est-ce que ça va ce matin ? lui demanda Jérôme, toujours jovial.

— Très bien, très bien ! Partons-nous bientôt pour notre excursion de chasse ?

— Nous allons d’abord prendre un bon déjeuner. Ensuite nous verrons.

Les deux hommes pénétrèrent dans la maison. Seuls, le vieux et la vieille, les maîtres du logis étaient debout. Les autres dormaient encore.

— Vous êtes matinal, comme toujours, monsieur Fiola, remarqua le vieil habitant.

Jérôme eut un large sourire :

— C’est au petit jour qu’on prend les lièvres au collet, dit-il.

Ils mangèrent un succulent repas de campagne : des grillades de lard salé, des œufs frits et du pain de ménage.

Le guide laissa la table alors que son compagnon n’avait pas encore fini son déjeuner et sortit. Au dehors, il scruta l’horizon et le firmament. Il n’y avait pas un seul nuage. Le ciel était parfaitement clair. Un timide soleil d’hiver paraissait.

Jérôme hocha la tête et entra :

— Monsieur Martial !

— Oui ?

— Je crois bien qu’il vaut mieux ne pas aller chasser aujourd’hui.

— Mais pourquoi ?