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LA CEINTURE FLÉCHÉE

de soulagement. Il avait reconnu la voix comme étant celle de Gédéon Lepage, un des cultivateurs qui avaient construit sa maisonnette.

Il ouvrit la porte, content d’avoir quelqu’un d’ami près de lui à ce moment où une peur folle l’envahissait. Lepage, un gars de la campagne bien bâti, entra.

— Qu’est-ce qui t’amène à cette heure ? jeune homme, interrogea le vieillard. Il est plus de minuit.

— Oh ! vous savez, monsieur, c’est un peu le remords et puis une chose grave vient de se passer.

Le vieillard sentit quelque chose manquer en lui. Dieu ! allait-on encore lui annoncer de mauvaises nouvelles ?

— Mais le temps s’est mis au froid. C’est sous zéro maintenant. Laissez-moi me chauffer un peu pendant que je m’en vais vous raconter ça.

Gédéon Lepage s’approcha du feu que le vieillard tisonna et auquel il ajouta une grosse bûche d’érable. Puis le jeune homme dit :

— Il faut commencer par le commencement. Il y a deux jours, un étranger est apparu dans le district.

— Mais… interrompit l’autre.

— Oh ! je sais ce que vous allez me dire, monsieur. Vous nous aviez fait jurer de vous prévenir dès qu’un étranger mettrait le nez par ici. Mais que voulez-vous ? nous avons été négligents. Un de nos chevaux et deux de nos bêtes à cornes ont été malades. Nous nous disions : « Il faut y aller ! Il faut y aller ! » Et ça a traîné jusqu’à ce soir. Je ne dis pas ça pour nous excuser mais pour vous expliquer. Donc, ce soir, un second étranger est venu. Il s’est arrêté chez nous.

— Et que vous a-t-il demandé ?

— Il nous a demandé s’il y avait un vieillard mystérieux dans la région.

— Vous avez été muets ?

— Comme des roches, monsieur. Soyez-en sûr. Quand les Lepage donnent leur parole, elle est bel et bien donnée ; ils ne la reprennent pas. Aussi nous avons dit à ce monsieur que nous ne savions rien de cette histoire. Mais il a questionné, questionné : Avait-on entendu parler d’un vieillard ? Ne vivait-il pas dans la forêt ? Ne se montrait-il point très secret ? N’avait-il pas donné de l’argent à un curé ? Enfin il nous a assommé deux heures durant, ce maudit homme. À la fin, savez-vous ce qu’il a fait ?

— Non.

— Eh bien, il a mis un beau billet de cent piastres sur la table de la cuisine et il a dit : ce billet est à celui qui va parler le premier.

— Le goujat !

— Alors notre père s’est levé, a pris le billet et l’a jeté dans le poêle.

— Bien, bien, ça !

— L’homme s’est levé, très pâle et est sorti. Ça se passait ce soir. Mais n’ayez crainte, le billet n’a pas été brûlé. Le poêle ne chauffait pas ; c’était la cheminée qui flambait à ce moment. Aussi je vous ai apporté ce billet de $100 parce que notre père et nous, nous croyons qu’il vous appartient.

L’étranger a voulu s’en servir contre vous. Prenez-le.

Le vieillard le prit, mais immédiatement le remit au jeune homme :

— Tiens, je vous le donne, dit-il, vous l’avez bien gagné.

Gédéon Lepage tournait son casque dans ses mains. Il semblait avoir quelque chose à dire qui le gênait. Enfin :

— Il est bien sûr que vous n’avez jamais commis d’action mauvaise, monsieur ? questionna-t-il.

Le vieillard resta estomaqué :

— Comment ?

— Oui, vous n’êtes jamais allé en prison ?

— Oh ! la, la, qui peut bien vous avoir mis ça en tête, éclata de rire le vieux. Mais non, je ne sais pas ce que c’est qu’un cachot. J’ai toujours été bon, honnête, tout ce que vous voudrez.

— Il faut m’excuser, monsieur, de vous demander ça. Mais vous avez des allures si curieuses que notre père et nous, nous avions peur d’être mêlés à une affaire dangereuse et d’être mis en prison aussi, vous savez.

— Ne crains rien, jeune homme, celui qui te parle a toujours été un honnête et charitable citoyen.

— Et puis, monsieur, l’étranger qui est venu nous voir ce soir nous a eu l’air d’être un détective.

— Comment ! un détective ! Qu’est-ce que la police peut bien avoir à faire avec toute cette histoire ? Mais qu’est-ce qui vous a fait croire que c’était un détective ?

— Bien, quand il a été parti, nous avons jasé de ça ensemble. Je suis allé quelque-