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LA CEINTURE FLÉCHÉE

— Elle est bien lourde !

Le vieillard faillit perdre contenance.

Mais il se ressaisit :

— Oh ! elle est de qualité supérieure, voilà tout !

— Elle est d’un bon poids en tout cas.

Le guide se passa la main dans les cheveux, se gratta :

— Mais cette ceinture est bien précieuse, d’après ce que vous me dites. Ça va être un vrai cauchemar jour et nuit pour moi. Je vais toujours avoir peur de me la faire voler. Vous savez, chez nous, monsieur, il n’y a pas de coffres-forts. Où vais-je la mettre ?

— Mets-la simplement à ta taille et garde-la à ta taille la nuit comme le jour.

— C’est une bonne idée, ça. C’est ce que je fais à l’instant.

Il se passa la ceinture fléchée autour de la taille et termina son ouvrage en un nœud savant comme les sauvages savaient si bien en faire autrefois.

Mais il s’écria en riant sous la poussée d’une idée drôle qui lui était subitement venue :

— C’est ma femme qui va en faire une tête quand elle me verra sauter dans le lit, le soir, avec ma ceinture fléchée autour de la taille. Toute la paroisse de Sainte-Blandine va le savoir.

— Ah ! Mais il ne faut pas. Ce serait un malheur irréparable. Si les gens apprenaient que tu as plus que des attentions régulières pour la ceinture fléchée, ils en parleraient ; ces propos arriveraient aux oreilles de mes ennemis et tout serait perdu.

— Oh ! j’arrangerai bien ça avec ma vieille. Sous la menace d’une fessée des mieux conditionnées, je lui ferai promettre de se taire. Et elle se taira. Une chance, l’Asile de Beauport est loin et les frais de transport très élevés, car elle me croira certainement fou à lier et elle pourrait avoir l’idée de m’envoyer dans une maison de fous.

Jérôme Fiola retourna chez lui, la ceinture fléchée à la taille.

Il la palpait souvent de la main et se demandait si le vieillard n’était pas fou.

— Cependant, pensa-t-il, il se conduit comme un homme ordinaire. Enfin, peut-être a-t-il une manie, celle de la ceinture fléchée. Cette manie est bien inoffensive. Je m’en vais porter cette ceinture aussi longtemps que ça lui fera plaisir.

La femme de Jérôme lui cria dès son entrée dans la maison :

— Il est venu de la visite pour toi, mon homme, en ton absence.

— Qui est-ce ?

— Tiens, regarde.

Madame Fiola lui mit sous le nez une carte de visite.

— Mais tu sais bien que je ne sais ni lire ni écrire, fit le guide. Espèce de… de… tu ne perds jamais une occasion de me faire avouer que je suis un illettré. Lis-moi ce qu’il y a d’écrit sur cette carte.

Madame Fiola lut :

« ALBERT MAINVILLE.
Détective,
Rivière-du-Loup ».

— Comment ! encore un ! s’écria Jérôme.

— Oui, mais il est bien gentil, celui-là.

— Que veut-il ?

— Il cherche un homme. D’après la description qu’il m’en a faite, cet homme ressemble furieusement à ton Onésiphore Ouellette.



CHAPITRE XIV

« OUI, JE L’AIME ! »


Sept jours s’étaient écoulés depuis la première rencontre de Jacques Martial et d’Alice Paquin.

Le jeune homme et la jeune fille s’étaient non seulement vus tous les jours pendant cet espace de temps ; mais Jacques habitait chez Madame Paquin.

Grâce à des détours habiles et à des finesses de conversation, il avait réussi à se faire inviter par la mère d’Alice à demeurer chez elle pour le temps qu’il passerait à Sainte-Blandine.

Une douce intimité s’était établie entre le jeune homme et la jeune fille. Ils entretenaient de longues conversations sur les sujets les plus variés. Leurs deux esprits communiaient aux mêmes idées, leurs deux cœurs aux mêmes sentiments. Ce n’était pas le coup de foudre ; non, c’était tout simplement la naissance d’une amitié saine que la jeunesse et l’ardeur du sang transformerait peut-être en amour.

Cet après-midi-là, Jacques se coucha.