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Page:Huot - Le massacre de Lachine, 1923.djvu/19

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LE MASSACRE DE LACHINE

À ces mots, elle quitta la chambre, entraînant presque Tambour avec elle, et sans s’excuser auprès de Julie du Châtelet de la précipitation de son départ.


CHAPITRE V

SACRIFICE


En quittant le fort, Isanta, accompagnée de Tambour et sans dire un mot à son compagnon, se dirigea en droite ligne vers le camp des Abénaquis. Ce camp était établi dans un bouquet d’arbres en dehors de la palissade du fort, en face du lac. Tambour pouvait à peine suivre sa compagne qui glissait, pour ainsi dire, dans les broussailles et entre les arbres abattus qui couvraient l’espace qui séparait le fort du camp des Abénaquis. Il la questionna plusieurs fois sur l’objet de sa course, mais ne put en obtenir d’autre réponse que celle-ci : « Je vais sauver mon frère ! »

Bientôt, Isanta et Tambour entraient au camp. La première fut immédiatement entourée d’un groupe de femmes qui l’aimaient toutes. De son côté, Tambour fut bien accueilli par les braves. Ils le connaissaient tous et le regardaient comme le plus grand médecin parmi les Français. Il leur avait donné des preuves fréquentes de son habileté en chirurgie, et les opérations que Tambour avait pratiquées tenaient, pour eux, du miracle. Mais bien que les Abénaquis fussent surpris de l’apparition d’Isanta et de Tambour au milieu d’eux, ils ne manifestèrent point leur étonnement. Avec le flegme particulier à leur race, ils attendirent des explications.

La Huronne parla la première : « Montrez-moi, dit-elle, le wigwam du Serpent. »

Cette fois les sauvages se regardèrent avec surprise. Mais nul ne fut plus surpris que Tambour. N’en croyant pas ses oreilles, il demanda avec le plus grand étonnement :

« N’êtes-vous venue ici que pour voir le Serpent ? »

— Je suis venue, dit-elle, à voix basse, pour sauver mon frère.

— Je crains, Isanta, que vous n’ayez fait une course inutile.

— Si M. Tambour a peur, il peut s’en retourner.

— Peur de qui ? peur de quoi ? répliqua Tambour d’un ton agité. Si cela vous faisait plaisir, Isanta, de voir mourir ce misérable Serpent, je vais le provoquer tout de suite et l’étendre mort à mes pieds, quitte à être ensuite mis en pièces moi-même par les Abénaquis irrités.

— J’ai peur que vous ne gâtiez tout par votre violence, reprit la jeune fille. Mais, promettez-moi de vous contenir et de m’aider ainsi à sauver mon frère, ou bien je m’en retourne et vous tiendrai responsable de sa mort.

— Je le promets, répondit Tambour, mais j’espère que le Serpent ne poussera pas ses provocations trop loin.

— L’une de vous, mes sœurs, dit Isanta en s’adressant aux femmes, voudrait-elle me conduire au wigwam du Serpent ? »

Une jeune et jolie sauvagesse offrit ses services. Quelques instants après, Isanta et son compagnon étaient sous la tente du chef abénaquis.

Ce personnage était assis à terre et occupé à aiguiser son tomahawk. Levant la tête, il regarda fièrement ses visiteurs, puis siffla avec force. À ce coup de sifflet, plusieurs Abénaquis armés entrèrent sous le wigwam.

Prenant alors la parole :

« Pourquoi la sœur du Rat et mon autre ennemi Tambour sont-ils venus au wigwam du Serpent !

— Pourquoi m’appelez-vous la sœur du Rat ? demanda Isanta. Ne m’avez-vous pas envoyé un de vos guerriers me dire que mon frère avait été pris par les Iroquois et mis à mort ?

— J’ai envoyé un de mes guerriers vous porter cette nouvelle, dit le Serpent du ton le plus calme. Mais pourquoi la sœur du Rat se plaindrait-elle ? Si son frère n’est pas mort aujourd’hui, il sera mort demain.

— Ainsi, le grand chef des Abénaquis n’a pas honte de mentir à une femme ?

— Ni à un homme. Le sage ment toujours ; les fous seuls disent la vérité.

— Mais pourquoi le Serpent a-t-il fait ce mensonge ?

— Je craignais que vous n’appreniez que le prisonnier est votre frère, et que vous ne fissiez demander sa liberté par le gouverneur. Mais maintenant il est trop tard.

— Et pourquoi est-il trop tard ? Le gouverneur est plus puissant