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LE MASSACRE DE LACHINE

CHAPITRE X

LE LIS SE FERME


Sur un sofa, dans la chambre de Julie du Châtelet, la jeune Huronne, Isanta, était étendue mourante. Près d’elle était assise sa sœur blanche, pâle et abattue, les yeux gonflés de larmes. De temps en temps, elle se levait pour humecter les lèvres desséchées de la jeune fille mourante, ou pour mouiller ses tempes fiévreuses, prévenant, avec une tendre affection, les soins que la malade n’avait plus la force de réclamer. Pendant toute une nuit et une journée, Julie du Châtelet avait, les larmes aux yeux, veillé la jeune fille à l’agonie ; elle avait refusé de prendre du repos ; elle n’avait pas voulu s’éloigner un instant ; et là, dans cette chambre sombre, elle personnifiait bien l’image du dévouement en larmes.

Le jour tombait ; les ombres s’allongeaient de plus en plus vers l’est, timides avant-coureurs du crépuscule.

Julie du Châtelet était assise, fixant depuis quelques minutes un dernier rayon de soleil qui avait pénétré dans la chambre par une fente de la jalousie, et se jouait au-dessus du lit de la mourante. Les yeux de la garde-malade suivaient, avec une sorte de fascination, ce jeu de lumière qui la faisait penser à l’auréole dont les peintres entourent la tête des saints ; un sentiment de crainte et de respect s’empara de son âme ; elle en vint à réfléchir qu’elle assistait en ce moment au coucher du soleil qui avait animé la courte carrière de la compagne bien-aimée de son enfance. Peu à peu le rayon s’affaiblit pour disparaître bientôt, et la jeune fille ne put retenir une exclamation de regret.


Le silence de la tombe l’entourait déjà.

Le bruit tira la Huronne du sommeil fiévreux qui s’emparait d’elle pendant des intervalles bien courts, et n’était plus le sommeil réparateur d’autrefois !

« Julie, murmura-t-elle à voix basse et d’un ton inquiet, dites-moi, est-il jour ? »

— Non, ma chère, le jour baisse, le soleil est presque couché.

— Il faut aller vous reposer, ma sœur ; — il faut dormir ; il ne faut pas veiller davantage.

— Je n’irai pas me reposer, Isanta ; je ne sens pas le besoin de sommeil, et je vous veillerai jusqu’au matin.

— Jusqu’au matin, ma sœur, jusqu’au matin ? Non, non, allez vous reposer maintenant ; quand le jour paraîtra, je serai avec les miens, avec ceux qui m’aiment.

— Et moi, est-ce que je ne t’aime pas, chère Isanta ?

— Vous êtes la seule de votre race ; j’ai cru qu’un autre m’aimait aussi, mais c’était un songe. Je suis contente que ce ne fût qu’un songe.