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Page:Huot - Le massacre de Lachine, 1923.djvu/41

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LE MASSACRE DE LACHINE

des intentions pacifiques, faisaient prendre et tuer traîtreusement tous les Iroquois qui leur tombaient sous la main.

Le vieillard obéit et, quand son canot disparut à l’horizon, le Rat, qui l’avait suivi des yeux depuis qu’il avait pris le large, s’écria d’une voix triomphante :

« Et maintenant, guerre à outrance ! »


CHAPITRE XIII

LA CATASTROPHE. — DERNIÈRE RENCONTRE DE DEUX ENNEMIS


L’outrage fait aux envoyés iroquois par le Rat, outrage que celui-ci sut mettre au compte du marquis de Denonville, produisit l’effet d’un levain empoisonné dans le cœur de ces sauvages. Ils se rappelaient aussi que les envoyés qui avaient précédé ceux que Kandiarak venait d’arrêter avaient été injustement faits prisonniers et déportés en France, comme on l’a vu au commencement de cette histoire. Il est vrai qu’immédiatement après leur arrivée en France, ces chefs avaient été libérés par ordre du roi Louis et renvoyés en Canada. Mais les Iroquois ne pardonnaient jamais les insultes faites à leurs chefs et, dans leurs chefs, à toute la nation ; ce souvenir les agitait avec une violence que rien ne pouvait modérer.

Mais, durant l’hiver de 1688 et le printemps de 1689, un calme trompeur régnait dans toute la province, et les Iroquois implacables semblaient avoir enterré leurs haches de guerre. Les colons accueillirent ces indices de paix comme le malade bénit le sommeil après une fièvre violente. Mais bien des craintes existaient encore au milieu de cette sécurité apparente, et les yeux exercés, habitués à la cruelle diplomatie des sauvages, entrevoyaient dans la forêt, au sud du Saint-Laurent, les indices d’une trame qui devait bientôt ravir aux colons leurs vies et leurs fortunes.

Le marquis avait été averti par des hommes auxquels l’expérience avait fait connaître la nature sauvage, que les Iroquois se préparaient à faire une descente dans la province pour y porter le massacre et la désolation. Mais il ne voulut pas prêter l’oreille à ces avertissements. Rien n’indiquait un mouvement prochain des sauvages ; et il ne voulait pas sonner l’alarme sur de simples rumeurs d’un danger éloigné. Toutefois, ce calme était de mauvais augure, et la tranquillité des Iroquois tout à fait inexplicable. Le gouverneur s’adressa aux RR. PP. Jésuites pour avoir des renseignements. Les missionnaires, trompés par les apparences pacifiques des Iroquois et le mystère dont ils savaient envelopper leurs sinistres projets, exprimèrent l’opinion que l’on accusait faussement les sauvages ou, du moins, que l’on exagérait beaucoup des rumeurs sans importance. Ainsi trompée par cette fausse sécurité, la colonie s’offrait sans défense au couteau de ses ennemis les plus implacables.

Dans la nuit du 5 août, au milieu d’un orage de pluie et de grêle, quatorze cents guerriers iroquois traversaient le lac Saint-Louis. Ils débarquèrent inaperçus à Lachine, pointe ouest de l’île de Montréal. Favorisés par les éléments et les ténèbres, ils se dirigèrent rapidement et sans bruit vers les points qui leur avaient été désignés d’avance, et avant de lever du soleil, ils avaient entouré, par pelotons, chaque maison dans un rayon de plusieurs lieues.

À un signal de leur chef, les Iroquois commencèrent leur œuvre de sang. Pénétrant par les portes et les fenêtres, les sauvages arrachaient les habitants de leurs lits, massacrant, sans distinction, jeunes et vieux, hommes, femmes et enfants. Quand le tomahawk ne suffisait pas, on employait la torche, et les habitants, sortant de leurs maisons en flammes, étaient massacrés sur le seuil. La fureur des Iroquois était diabolique. Non contents de massacrer sans distinction, ils ajoutaient la torture morale aux souffrances physiques, en forçant des pères et des mères à jeter leurs enfants dans les flammes. Jusqu’à une petite lieue de Montréal, ce n’était partout que flammes et ruisseaux de sang. Tout cédait au tomahawk ou à la torche. Deux cents personnes furent brûlées vivantes. Plusieurs furent mises à mort après avoir subi toutes les tortures que peut inspirer la cruauté la plus raffinée ; plusieurs autres furent réservées pour périr sur le bûcher, dans le pays des Iroquois.

Au plus fort du massacre, une bande de sauvages se trouva arrêtée par une maison de pierre située sur les bords du Saint-Laurent.

Enfin, un sauvage qui dépassait des épaules et de la tête tous ses compagnons, arriva près de la maison dont il s’agit. D’un coup d’œil, il s’aperçut que le feu bien nourri des assiégés faisait de nombreuses victimes parmi les sauvages qui commençaient à se décourager. Le