Aller au contenu

Page:Huot - Le trésor de Bigot, 1926.djvu/24

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
22
LE TRÉSOR DE BIGOT

— Alors, ayez l’obligeance de le faire taire.

— S’il aboie, c’est parce que vous êtes illégalement sur ma propriété.

Jules fit voir au cultivateur son insigne de détective qu’il portait toujours attachée à l’envers de son veston.

— Si je suis sur votre propriété, monsieur, c’est dans l’intérêt de la société. Une bande de criminels est dans les environs. Je me cache ici pour tenter de les démasquer.

Le cultivateur pâlit :

— Des criminels dans notre région, dit-il en levant les bras au ciel. Oh ! alors, monsieur le détective, vous êtes mille fois le bienvenu. Puis-je vous être de service ?

Un automobie ronflait dans le lointain. Le bruit du moteur approchait rapidement.

— Oui, vous pouvez m’être de service.

— En quoi faisant ?

— En vous tenant bien coi dans votre coin jusqu’à ce que je vous dise que je n’ai plus besoin de vous et en faisant taire votre satané chien qui me semble aimer fort les discours enflammés.

— Carlo, la paix, la paix ! fit le cultivateur.

Immédiatement, la bête docile se tut et vint se coucher près de son maître. Il était temps. L’automobile apparaissait à un tournant de la route.

Le conducteur ne semblait pas pressé. Il s’en venait à six ou sept milles à l’heure et chantait. Jules put se régaler les oreilles de la vieille complainte canadienne :

« Isabeau s’y promène
Le long de son jardin,
Le long de son jardin
Sur le bord de l’île,
Le long de son jardin
Sur le bord de l’eau,
Sur le bord du bateau. »

Le chanteur, fatigué sans doute de la lenteur de cet air, entonna avec un entrain endiablé :

« À la claire fontaine,
M’en allant promener,
J’ai trouvé l’eau si belle
Que j’y m’y suis baigné ;
Lui y a longtemps que je t’aime ;
Jamais je ne t’oublierai. »

— Cette voix ne m’est certes pas inconnue, dit tout bas le détective au cultivateur. Qui est-ce ? Mais il est inutile de me casser la tête à chercher. Je vais bientôt le savoir. Voici l’automobile.

Cette fois Jules Laroche ne put s’empêcher de faire un vif mouvement de surprise.

Champlain-Tricentenaire, oui, Champlain-Tricentenaire Lacerte en personne passait sur la route, chantant et fumant un cigare à l’avant du luxueux Sedan de son maître.

— Ça bat quatre as, s’exclama le détective. Décidément, mon secrétaire et factotum commence à se ficher de moi. Voilà maintenant qu’il s’empare de mon automobile sans ma permission et qu’il se promène comme un millionnaire, le cigare au bec. Pas plus tard que dans cinq minutes je verrai le fond de cette histoire.

Jules Laroche sauta dans son « Racer », remercia le cultivateur qui le regardait bouche bée et partit, suivi par Carlos qui s’était remis de plus belle à aboyer.

Quelques instants plus tard, il rejoignit Tricentenaire. Par plusieurs coups de trompe, il lui fit entendre qu’il voulait passer. Champlain rangea sa voiture sur le côté droit de la route et Jules avança à gauche. Au moment où son « Racer » passait à côté de l’autre machine, le détective jeta un coup d’œil sur son secrétaire, feignit de le reconnaître et arrêta. Champlain fit de même.

Quand Jules vint pour lui adresser la parole, il s’aperçut qu’il était rouge comme un écolier pris en flagrant délit.

— Tricentenaire, vas-tu m’expliquer comment il se fait que te voilà en route vers St-Henri ! Où étais-tu ce matin quand je t’ai appelé dans la cour ?

Champlain saisit cette occasion de ne pas répondre à la première question et répondit à la seconde :

— Mais j’étais dans le garage à réparer votre Buick, monsieur Laroche.

— Et tu n’as pas entendu mon appel ?

— Non.

— C’est étrange.

— Je crois que j’avais fermé la porte du garage et je travaillais sous l’automobile. Le bruit que je faisais, la porte fermée, ces deux causes m’ont sans doute empêché d’entendre vos appels.

— Mais pourquoi t’es-tu emparé de mon Sedan sans ma permission et m’as-tu suivi jusqu’ici ?

— Je vais vous raconter, monsieur Laroche. Vous veniez de partir ce matin, vous n’aviez peut-être pas tourné le coin de la Côte de la Montagne quand j’ai été attaqué pour la seconde fois par un bandit. J’ai réussi à le maîtriser.

— Je parie qu’il t’a encore échappé, celui-là, fit Laroche avec un sourire gouailleur.

— Malheureusement oui, monsieur. Alors