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LE TRÉSOR DE BIGOT

aux femmes. C’était le fils du chef de la tribu ennemie. Le jeune homme était aimable et doux. Il désapprouvait la conduite des guerriers de sa nation. La fille unique du chef huron se prit d’amour pour lui. Elle lui enseigna la langue huronne et ils parlaient tous deux d’amour chaque fois que la lune paraissait au firmament. Et si la nuit était sans lune et opaque, ils s’embrassaient doucement. À la fin, ils s’aimaient follement. C’est alors que le chef huron découvrit le secret et jugea que c’eût été une honte de marier sa fille à un Iroquois. Il fit venir deux sauvages qui s’emparèrent du prisonnier, lui lièrent les bras et les jambes et le jetèrent dans l’Etchemin. La jeune fille plongea aussitôt pour le sauver ; mais quand elle tira son amant de la rivière, il n’était plus qu’un cadavre. Alors elle l’embrassa plusieurs fois, pleura et s’arracha les cheveux. Après quoi, elle lui creusa une fosse et l’enterra. Puis elle monta sur le sommet d’un rocher et se jeta à la rivière. Quand on la retira de l’eau, elle était morte, elle aussi. Au moment de l’inhumation de son enfant, quelle ne fut pas la surprise du chef huron quand il s’aperçut que le cadavre avait disparu. Après avoir fait faire de vaines recherches partout, il ordonna à un sauvage de déterrer le jeune Iroquois, dont son amante avait creusé la fosse. On trouva le corps de la jeune fille au fond de cette fosse tenant dans ses bras l’amant adoré. Le chef huron fut profondément remué par cette découverte. C’est alors qu’il ordonna de remplir la fosse et de laisser les amants s’embrasser dans la mort. Puis il fit élever un tertre au-dessus de la fosse… Cette histoire a été transmise de père en fils depuis qu’il y a des blancs au Canada. On l’a toujours appelée l’histoire de la fosse du noyé.

Jules Laroche dit alors en souriant :

— On n’aime plus aussi intensément que cela de nos jours. Mais c’est une merveilleuse légende d’amour qui vaut cent fois bien des pièces de théâtre à base d’adultère.

— Mais ce n’est pas tout, grand-père, fit Madeleine, toujours assise sur les genoux du vieillard. Où est cette fosse du noyé ?

— Je ne veux pas vous expliquer où elle est, assis dans ma chaise, ici. Il faut que je me transporte sur les lieux. Ah ! il y a bien 20 ans que je n’ai pas été à cet endroit. Cependant, je suis sûr de m’y reconnaître si le gros anneau de fer est encore là. Mais y est-il ? Je le crois, car ces anneaux résistent des centaines d’années au travail destructeur du temps. Si, par malheur, il n’y est pas, je ne sais comment je m’y prendrai pour retrouver l’emplacement de la fosse du noyé. La fosse était tout près de l’anneau.

— Avez-vous entendu parler de Marcel Morin, le fondateur de St-Henri, père Latulippe ? questionna le détective.

— Sûrement, oui !

— Est-ce qu’on vous a dit dans votre jeunesse où il demeurait ?

— Mais oui. Les ruines de sa maison se voyaient encore dans mon jeune temps, non loin de la fosse du noyé.

Le détective prêta une oreille plus attentive.

— Pourriez-vous retrouver ces ruines ?

— Je ne sais pas. Mais, cependant, je crois que oui ; car je me rappelle, il y avait un chêne d’une grosseur énorme, tout près des ruines, quand je les ai visitées avec mon grand-père. Si le chêne est encore debout, je le reconnaîtrai peut-être.

Le détective n’était pas satisfait.

Voilà que la découverte du trésor allait dépendre d’un arbre et d’un anneau de fer.

Enfin !

Il prit congé de ses hôtes et fila seul dans la nuit, vers la caverne des bandits dont Jean Labranche était le chef.

Il était une heure du matin.

Le détective allait être obligé de faire vite avant le jour, car la nuit pâlit vite à cette saison de l’année.

Pourquoi Jules Laroche s’exposait-il à la mort en allant seul avec son chien Café visiter cette caverne ?

C’est qu’il voulait faire d’une pierre plusieurs coups. Il soupçonnait la bande d’être les auteurs d’une série de vols qui avaient mis le district de Québec en émoi, depuis quelques mois.

S’il pouvait convaincre les bandits de culpabilité dans ces vols en même temps que dans l’affaire du trésor de Bigot, ce serait un grand succès et la population du district dormirait plus tranquille.

Puis, revenant à la question principale, il pensa : Le père Latulippe dit que les ruines de la maison où demeurait le garde du Château St-Louis se trouvent tout près de la fosse du noyé. Ces paroles sont en accord parfait avec le bout de parchemin.

Jules savait maintenant par cœur ce qui était sur ce bout de parchemin :

 « Le soleil se lève ; je sors de ma maison,
je fais 512 pas vers la rivière. Je m’arrête
et regarde. Le soleil donne sur la fosse du
noyé. Je fais 21 pas, le soleil dans le dos.
Ici est le salut de la Nouvelle-France. »

C’est clair comme le jour, pensa le détec-