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LE TRÉSOR DE BIGOT

— Le père Latulippe, un vieux de 101 ans, va me le dire. Je suis allée le voir. Il dit qu’il se souvient de cette histoire de la fosse du noyé et qu’il va me conduire à l’endroit où est supposée être cette fosse.

— Bien, très bien, tout ça ! Vous avez fait de la bonne besogne.

Jules regardait la jeune fille avec une insistance presque impolie. Il ne pouvait détacher son regard de cette jolie vision. Madeleine était si différente des filles qu’il avait connues jusqu’alors à Québec. Il faut dire aussi que le jeune détective prêtait peu d’attention au sexe féminin, attiré exclusivement par sa passionnante profession. Madeleine lui apparaissait sous un jour qui lui plaisait, lui plaisait beaucoup.

— Mademoiselle, demanda-t-il, qui est-ce que ce monsieur l’apprenti docteur Labranche ?

— C’est un charmant garçon à qui j’ai confié mon secret et qui m’a aidée jusqu’à ce jour. Mais vous êtes bien plus fort que lui.

— Son père est-il riche ?

— Non, monsieur. Mais cela n’empêche pas mon ami Jean de rouler la grosse et luxueuse automobile. Il dit qu’il joue à la Bourse et fait toujours de bonnes affaires.

— Sait-il que le père Latulippe connait l’endroit où se trouve la fosse du noyé ?

— Non, je ne le lui ai pas encore dit ; car je n’ai fait cette découverte que ce matin après son départ.

— Ah ! il est venu ici ce matin.

— Oui, et il était tout sale. Il m’a dit que son automobile était tombée dans le fossé et qu’il s’était sali à la remettre sur la route. Il s’est même débarbouillé ici.

— Mais pourquoi n’est-il pas allé chez lui ?

— Parce que son père ne demeure pas au village en été. Il a un chalet sur le bord de la rivière Etchemin.

— Quand il est venu, avait-on découvert l’attentat sacrilège au cimetière ?

— Non, il n’était que six heures du matin. Je me lève de bonne heure, vous savez. J’étais à travailler dans notre petit jardin quand il me cria de la route.

Jules Laroche se dirigea vers la fenêtre ouverte et héla son secrétaire et factotum Champlain-Tricentenaire qui faisait les cent pas sur la route en l’attendant.

Champlain pénétra dans la pièce où se trouvaient Madeleine et le jeune détective :

— Tricentenaire, dit Jules, va préparer l’auto. Dans cinq minutes, nous retournons à Québec.

Quand Champlain fut sorti, Jules Laroche se tourna vers la jeune file pour lui adresser la parole, mais elle l’interrompit :

— Qui est ce jeune homme ? questionna-t-elle.

— C’est Champlain-Tricentenaire Lacerte, mon secrétaire.

La jeune fille éclata de rire :

— Champlain-Tricentenaire ! quel nom baroque ! dit-elle, riant toujours.

Puis elle se fit sérieuse :

— Votre secrétaire ressemble étrangement à un mendiant que nous avons hébergé une nuit la semaine dernière, je crois.

— Ah ! ça, les mendiants ont-ils élu St-Henri comme lieu de prédilection ! Dans la même semaine, des mendiants couchent chez le curé, chez le notaire… Mais vous dites qu’il ressemblait à Champlain. Ah ! ça, est-ce que par hasard ?…

Le détective s’interrompit et pensa : Ce mendiant, serait-ce le père de Tricentenaire ? Celui-ci serait-il mêlé à l’attentat sacrilège ? Ce gueux convoite-t-il les millions de Bigot ? Autant de questions auxquelles il était difficile d’apporter une réponse.

— Mademoiselle, dit Jules Laroche, demain matin, à 9 heures, je serai ici et je compte sur votre présence pour m’accompagner chez le père Latulippe.

— J’y serai, monsieur, j’y serai, fit la jeune fille rayonnante de plaisir et d’orgueil.

L’automobile était à la porte. Deux minutes après, elle filait vers Québec emportant le détective perplexe et le maintenant louche Tricentenaire.


IV

LE VOL DANS LA NUIT


Les bons villageois de St-Henri dormaient paisiblement. Les dernières rumeurs du soir s’étaient éteintes. Tout le monde semblait couché. La lune donnait ses rayons doux à l’église qui projetait une ombre gigantesque sur la route.

De temps en temps on pouvait voir les phares d’une automobile venant de Scott ou de Lévis illuminer le pont de l’Etchemin. Elle roulait silencieusement, respectant le silence.

Le notaire Morin était couché depuis longtemps. Madeleine dormait. Mais le notaire était bien éveillé. Il avait peur. Le détective ne lui avait-il pas dit que sa vie était en danger ! La nouvelle du matin, celle de l’attentat au cimetière, l’avait bouleversé. Quand sa fille lui avait ensuite appris qu’el-