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SUR L’ÉVOLUTION LITTÉRAIRE

pourra ! L’art n’est point une querelle politique ou sociale. C’est une solitude en prière.

— Vous ne croyez donc pas que cette manifestation littéraire soit viable ?

— Je le crois peu, car, en toutes choses comme en tout temps, la France a prouvé qu’elle aimait à comprendre. Elle a le génie net et précis, l’esprit droit et le parler clair. Tout ceci nous vient ou nous revient de l’étranger. Dans les écoles en question, on est volontiers Belge ou Roumain, Suisse ou Anglo-Saxon, la petite Pologne et la grande Bohême. Voulez-vous un symbole ? En France, on fleuretait ; les Anglais trouvant la chose jolie et le mot joli, continuèrent la chose et prirent le mot, qu’ils écrivirent conformément au génie de leur langue, et qui devint flirt. Aujourd’hui, nous leur reprenons ce que nous leur cédâmes, et nous flirtons au lieu de fleureter. La jaquette de Jacques Bonhomme a passé la Manche, et l’a repassée sous le nom de Jacket. Une mode ! C’est la mode ! On ne dit plus que jamais en France l’Anglais ne règnera. Albion se venge de Jeanne d’Arc par le Smoking, le Tea room et le five o’clock. Nous nous prêtons de bonne grâce aux invasions, étant hospitaliers et naïfs sans le savoir. Mais ces heures-là n’ont qu’une heure, et le démarquage de Ronsard restituera la place à feu Ronsard, comme on oubliera de flirter pour se reprendre à conter fleurette aux belles de France.

— Ce n’est donc là, selon vous, qu’une mode ?