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SUR L’ÉVOLUTION LITTÉRAIRE

définitif. De cette organisation sociale inachevée, qui explique en même temps l’inquiétude des esprits, naît l’inexpliqué besoin d’individualité dont les manifestations littéraires présentes sont le reflet direct.

Plus immédiatement, ce qui explique les récentes innovations, c’est qu’on a compris que l’ancienne forme du vers était non pas la forme absolue, unique et immuable, mais un moyen de faire à coup sûr de bons vers. On dit aux enfants : « Ne volez pas, vous serez honnêtes. » C’est vrai, mais ce n’est pas tout ; en dehors des préceptes consacrés, est-il possible de faire de la poésie ? On a pensé que oui et je crois qu’on a eu raison. Le vers est partout dans la langue où il y a rythme, partout, excepté dans les affiches et à la quatrième page des journaux. Dans le genre appelé prose, il y a des vers, quelquefois admirables, de tous rythmes. Mais, en vérité, il n’y a pas de prose : il y a l’alphabet, et puis des vers plus ou moins serrés, plus ou moins diffus. Toutes les fois qu’il y a effort au style, il y a versification.

Je vous ai dit tout à l’heure que, si on en est arrivé au vers actuel, c’est surtout qu’on est las du vers officiel ; ses partisans mêmes partagent cette lassitude. N’est-ce pas quelque chose de très anormal qu’en ouvrant n’importe quel livre de poésie on soit sûr de trouver, d’un bout à l’autre des rythmes uniformes et convenus là où l’on prétend, au contraire, nous intéresser à l’essentielle variété des sentiments humains !