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la bièvre

cuves ; de l’autre par un mur enfermant un parc immense et des vergers que dominent de toutes parts les séchoirs des chamoiseurs. Ce sont, au travers d’une haie de peupliers, des montées et des descentes de volets et de cages, des escalades de parapets et de terrasses, toute une nuée de peaux couleur de neige, tout un tourbillon de drapeaux blancs qui remuent le ciel, tandis que, plus haut, des flocons de fumée noire rampent en haut des cheminées d’usine. Dans ce paysage où les resserres des peaussiers affectent, avec leurs carcasses ajourées et leurs toits plats, des allures de bastides italiennes, la Bièvre coule, scarifiée par les acides. Globulée de crachats, épaissie de craie, délayée de suie, elle roule des amas de feuilles mortes et d’indescriptibles résidus qui la glacent, ainsi qu’un plomb qui bout, de pellicules.

Mais combien attrayantes sont ses deux petites berges ! celle qui longe le mur du verger garni de treilles, plantée de chrysanthèmes et de tomates, hérissée d’artichauts trop mûrs dont les têtes sont des brosses couleur de mauve ! et l’autre, celle qui était jadis réservée aux lavandières, évoque à elle seule toute une antique province, avec ses pavés encadrés d’herbe et ses blanchisseuses, enfouies, au ras de l’eau, jusqu’aux aisselles, dans ces baquets où elles se démènent et chantent, en battant le linge ; ce lavoir