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la bièvre

d’araignée, calcinés comme par un incendie ; puis d’incohérentes chaumines, sans étage, grêlées par des places de clous, jambonnées par des fumées de poêle ; et, le soir, les artisans qui logent dans ces masures prennent le frais sur le pas des portes, séparés, par des barres de fer emmanchées dans des poteaux de bois mort, de l’eau en deuil qui, malade, sent la fièvre et pleure.

Sans doute, cette étonnante ruelle décèle l’horreur d’une misère infime ; mais cette misère n’a ni l’ignoble bassesse, ni la joviale crapule des quartiers qui l’avoisinent ; ce n’est pas le sinistre délabrement de la Butte-aux-Cailles, la menaçante immondice de la rue Jeanne-d’Arc, la funèbre ribote de l’avenue d’Italie et des Gobelins ; c’est une misère anoblie par l’étampe des anciens temps ; ce sont de lyriques guenilles, des haillons peints par Rembrandt, de délicieuses hideurs blasonnées par l’art. À la brune, alors que les réverbères à huile se balancent et clignotent au bout d’une corde, le paysage se heurte dans l’ombre et éclate en une prodigieuse eau-forte ; l’admirable Paris d’antan renaît, avec ses sentes tortueuses, ses culs-de-sac et ses venelles, ses pignons bousculés, ses toits qui se saluent et se touchent ; c’est, dans une solitude immense, la silencieuse apparition d’un improbable site dont le souvenir effare, lorsque à trois pas, le long de casernes