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les gobelins

Ces réflexions m’obsédaient, en revenant par le boulevard de Port-Royal ; puis d’autres se succédèrent. N’avais-je pas vu, en effet, le plus bizarre des contrastes ? Dans une grotte marine parée de joyaux fous, la grande sirène de Moreau, debout, tenant le poète vaincu à ses pieds, tandis qu’autour d’elle des touffes de pierreries montent comme des plantes grimpantes sur les fils blancs des harpes, — et, dans un paysage désolé, aux fleurs de cimetière, la petite servante des tanneurs, la triste Bièvre, assise, épuisée de fatigue, sous un dessous de pont ; — en somme, les deux faces réunies de l’éternelle lutte : la femme captant l’homme par les basses manigances de ses charmes, le dominant, le rabaissant au rang d’un esclave ; l’homme abusant de sa force, avilissant, traitant telle qu’une paria la femme qui ne sut pas s’imposer, qui ne sut pas lui plaire ; — la Sirène, se riant de l’être qu’elle a soumis ; la Bièvre, suant à la peine, travaillant, pour le compte d’un tyran, dans la pestilence des peaux arrachées à des bêtes mortes.