Page:Huysmans, La Sorcellerie en Poitou, 1897.pdf/4

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

exactions, pressant l’impôt, sont inutiles. Les cités saccagées, les champs abandonnés et peuplés de loups, ne peuvent secourir un roi dont la légitimité même est douteuse. Il s’éplore ; gueuse à la ronde, vainement, des sous. À Chinon, dans sa petite cour, c’est un réseau d’intrigues que dénouent çà et là des meurtres. Las d’être traqués, vaguement à l’abri derrière la Loire, Charles et ses partisans finissent par se consoler, dans d’exubérantes orgies, des désastres qui se rapprochent ; dans cette royauté au jour le jour, alors que des razzias ou des emprunts rendent la chère opulente et l’ivresse large, l’oubli se fait de ces qui-vive permanents et de ces sursauts, et l’on nargue les lendemains, en sablant les gobelets.

Cependant, les armées anglaises rejoignaient, inondaient le pays, s’étendaient de plus en plus, envahissaient le centre. Le Roi songeait à se replier dans le Midi, à lâcher la France ; ce fut à ce moment que parut Jeanne d’Arc. Gilles de Rais, qui se trouvait alors à la cour, fut chargé par Charles de la garde et de la défense de la Pucelle. Il la suit partout, l’assiste dans les batailles, sous les murs de Paris même, se tient auprès d’elle à Reims, le jour du sacre, où, à cause de sa valeur, dit Monstrelet, le Roi le nomma maréchal de France, à vingt-cinq ans !

Quelle fut la conduite de Gilles de Rais envers Jeanne d’Arc ? Les renseignements font défaut. M. Vallet de Virville l’accuse de trahison, sans aucune preuve. M. l’abbé Bossard prétend, au contraire, qu’il lui fut dévoué et veilla loyalement sur elle, et il étaie son opinion de raisons plausibles. Quoi qu’il en soit, après la capture et la mort de Jeanne, nous perdons les traces de Gilles, que nous retrouvons enfermé, à vingt-six ans, dans le château de Tiffauges.

La vieille culotte de fer, le soudart qui était en lui, disparaissent. En même temps que les méfaits vont commencer, l’artiste et le lettré se développent en notre héros, s’extravasent, l’incitent même, sous l’impulsion d’un mysticisme à rebours, aux plus savantes des cruautés, aux plus délicats des crimes.

Car il est presque isolé dans son temps, ce baron de Rais ! Alors que ses pairs sont de simples brutes, lui veut des raffinements éperdus d’art, rêve de littérature térébrante et lointaine, compose même un traité sur l’art d’évoquer les démons, adore la musique, ne veut s’entourer que d’objets introuvables, que de choses rares.

Il était latiniste érudit, causeur spirituel, ami généreux et sûr. Il possédait une bibliothèque extraordinaire pour ce temps, où la lecture se confine dans la théologie et les vies des Saints. Nous avons la description de quelques-uns de ses manuscrits : Suétone, Valère