Page:Huysmans - A Rebours, Crès, 1922.djvu/113

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tristesse charmante, une désolation en quelque sorte alanguie, coulaient dans ses pensées, et il méditait longuement devant cette œuvre qui mettait, avec ses points de gouache, semés dans le crayon gras, une clarté de vert d’eau et d’or pâle, parmi la noirceur ininterrompue de ces fusains et de ces estampes.

En outre de cette série des ouvrages de Redon, garnissant presque tous les panneaux du vestibule, il avait pendu dans sa chambre à coucher, une ébauche désordonnée de Théocopuli, un Christ aux teintes singulières, d’un dessin exagéré, d’une couleur féroce, d’une énergie détraquée, un tableau de la seconde manière de ce peintre, alors qu’il était harcelé par la préoccupation de ne plus ressembler au Titien.

Cette peinture sinistre, aux tons de cirage et de vert cadavre, répondait pour des Esseintes à un certain ordre d’idées sur l’ameublement.

Il n’y avait, selon lui, que deux manières d’organiser une chambre à coucher : ou bien en faire une excitante alcôve, un lieu de délectation nocturne ; ou bien agencer un lieu de solitude et de repos, un retrait de pensées, une espèce d’oratoire.

Dans le premier cas, le style Louis XV s’imposait aux délicats, aux gens épuisés surtout par des éréthismes de cervelle ; seul, en effet, le xviiie siècle a su envelopper la femme d’une atmosphère vicieuse, contournant les meubles selon la forme de ses charmes, imitant les contractions de ses plaisirs, les volutes de ses spasmes,