Page:Huysmans - A Rebours, Crès, 1922.djvu/148

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couleur de lie et d’ardoise, et d’une pochette lustrée dont la doublure suintait une visqueuse colle.

Il ne pouvait détacher ses yeux de cette invraisemblable orchidée issue de l’Inde ; les jardiniers que ces lenteurs ennuyaient se mirent à annoncer, eux-mêmes, à haute voix, les étiquettes piquées dans les pots qu’ils apportaient.

Des Esseintes regardait, effaré, écoutant sonner les noms rébarbatifs des plantes vertes : l’« Encephalartos horridus », un gigantesque artichaut de fer, peint en rouille, tel qu’on en met aux portes des châteaux, afin d’empêcher les escalades ; le « Cocos Micania », une sorte de palmier, dentelé et grêle, entouré, de toutes parts, par de hautes feuilles semblables à des pagaies et à des rames ; le « Zamia Lehmanni », un immense ananas, un prodigieux pain de Chester, planté dans de la terre de bruyère et hérissé, à son sommet, de javelots barbelés et de flèches sauvages ; le « Cibotium Spectabile », enchérissant sur ses congénères, par la folie de sa structure, jetant un défi au rêve, en élançant dans un feuillage palmé, une énorme queue d’orang-outang, une queue velue et brune au bout contourné en crosse d’évêque.

Mais il les contemplait à peine, attendait avec impatience la série des plantes qui le séduisaient, entre toutes, les goules végétales, les plantes carnivores, le Gobe-Mouche des Antilles, au limbe pelucheux, sécrétant un liquide digestif, muni d’épines courbes se