Page:Huysmans - A Rebours, Crès, 1922.djvu/160

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et il s’abîma en elles, suivant les fantaisies du peintre, épris de ses scènes vertigineuses, de ses sorcières chevauchant des chats, de ses femmes s’efforçant d’arracher les dents d’un pendu, de ses bandits, de ses succubes, de ses démons et de ses nains.

Puis, il parcourut toutes les autres séries de ses eaux-fortes et, de ses aqua-tintes, ses Proverbes d’une horreur si macabre, ses sujets de guerre d’une rage si féroce, sa planche du Garrot enfin, dont il choyait une merveilleuse épreuve d’essai, imprimée sur papier épais, non collé, aux visibles pontuseaux traversant la pâte.

La verve sauvage, le talent âpre, éperdu de Goya le captait ; mais l’universelle admiration que ses œuvres avaient conquise, le détournait néanmoins un peu, et il avait renoncé, depuis des années, à les encadrer, de peur qu’en les mettant en évidence, le premier imbécile venu ne jugeât nécessaire de lâcher des âneries et de s’extasier, sur un mode tout appris, devant elles.

Il en était de même de ses Rembrandt qu’il examinait, de temps à autre, à la dérobée ; et, en effet, si le plus bel air du monde devient vulgaire, insupportable, dès que le public le fredonne, dès que les orgues s’en emparent, l’œuvre d’art qui ne demeure pas indifférente aux faux artistes, qui n’est point contestée par les sots, qui ne se contente pas de susciter l’enthousiasme de quelques-uns, devient, elle aussi, par cela même, pour les initiés, polluée, banale, presque repoussante.