Page:Huysmans - A Rebours, Crès, 1922.djvu/194

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Une fois de plus, cette solitude si ardemment enviée et enfin acquise, avait abouti à une détresse affreuse ; ce silence qui lui était autrefois apparu comme une compensation des sottises écoutées pendant des ans, lui pesait maintenant d’un poids insoutenable. Un matin, il s’était réveillé, agité ainsi qu’un prisonnier mis en cellule ; ses lèvres énervées remuaient pour articuler des sons, des larmes lui montaient aux yeux, il étouffait de même qu’un homme qui aurait sangloté pendant des heures.

Dévoré du désir de marcher, de regarder une figure humaine, de parler avec un autre être, de se mêler à la vie commune, il en vint à retenir ses domestiques, appelés sous un prétexte ; mais la conversation était impossible ; outre que ces vieilles gens, ployés par des années de silences et des habitudes de garde-malades, étaient presque muets, la distance à laquelle les avait toujours tenus des Esseintes n’était point faite pour les engager à desserrer les dents. D’ailleurs, ils possédaient des cerveaux inertes et étaient incapables de répondre autrement que par des monosyllabes aux questions qu’on leur posait.

Il ne put donc se procurer aucune ressource, aucun soulagement près d’eux ; mais un nouveau phénomène se produisit. La lecture de Dickens qu’il avait naguère consommée pour s’apaiser les nerfs et qui n’avait produit que des effets contraires aux effets hygiéniques qu’il espérait, commença lentement à agir