Page:Huysmans - A Rebours, Crès, 1922.djvu/196

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rue de Rivoli, vous vous arrêterez devant le Galignani’s Messenger ; car il songeait à acheter, avant son départ, un guide Baedeker ou Murray, de Londres.

La voiture s’ébranla lourdement, soulevant autour de ses roues des cerceaux de crotte ; on naviguait en plein marécage ; sous le ciel gris qui semblait s’appuyer sur le toit des maisons, les murailles ruisselaient du haut en bas, les gouttières débordaient, les pavés étaient enduits d’une boue de pain d’épice dans laquelle les passants glissaient ; sur les trottoirs que râflaient les omnibus, des gens tassés s’arrêtaient, des femmes retroussées jusqu’aux genoux, courbées sous des parapluies, s’aplatissaient pour éviter des éclaboussures, contre les boutiques.

La pluie entrait en diagonale par les portières ; des Esseintes dut relever les glaces que l’eau raya de ses cannelures tandis que des gouttes de fange rayonnaient comme un feu d’artifice de tous les côtés du fiacre. Au bruit monotone des sacs de pois secoués sur sa tête par l’ondée dégoulinant sur les malles et sur le couvercle de la voiture, des Esseintes rêvait à son voyage ; c’était déjà un acompte de l’Angleterre qu’il prenait à Paris par cet affreux temps ; un Londres pluvieux, colossal, immense, puant la fonte échauffée et la suie, fumant sans relâche dans la brume se déroulait maintenant devant ses yeux ; puis des enfilades de docks s’étendaient à perte de vue, pleins de grues, de cabestans, de ballots, grouillant d’hommes perchés sur